Que reste-t-il de nos sentiments quand ils deviennent des produits de consommation ? Pour sa première exposition personnelle parisienne à la galerie Exo Exo, Ash Love (né en 1996, Bordeaux) explore cette question sans donner de réponse définitive.
« Selfish, Shallow and Self-Absorbed » — titre emprunté au livre de Meghan Daum sur le choix de ne pas avoir d’enfant — devient ici une exploration ambiguë de nos attachements contemporains. Chez Exo Exo, on découvre sur chaque mur de l’exposition des cœurs rouges en verre soufflé qui rappellent immédiatement les peluches que l’on gagne aux stands de fête foraine. Ces CHILDLIKE THINGS (2025) portent des surnoms ironiques : bossy, crabby, sassy, goofy, chirpy. Face à ces objets polis, on pense au « chiffon de la honte » évoqué par Clémentine Proby dans le texte d’accompagnement – ce vieux doudou délavé, traîné depuis trente ans, qui résiste aux logiques du marché. Car là réside toute l’ambiguïté du propos : ces cœurs soufflés dans le sud-ouest de la France ne vieilliront jamais mal. Polis, lisses, ils semblent incarner la transformation de l’amour en marchandise. Mais leur facture artisanale les distingue des objets industriels qu’ils évoquent. Ils sont à la fois critique et fascination, rejet et appropriation des codes de la consommation émotionnelle.
Les peintures de la série « gen ∞ » (2025) révèlent plus clairement cette tension. Ces patchworks de sacs Eastpak décousus transforment l’objet mythique des cours de récré en matière première artistique. Ces sacs, devenus l’uniforme officieux des adolescents français depuis les années 1990, sont instantanément identifiables. Chaque toile (LOVE, RESIST, ROCK, BFF) agence ces fragments textiles selon une logique qui oscille entre nostalgie et dissection. Les accessoires accrochés — colliers, clés, breloques — dessinent une cartographie intime des stratégies adolescentes d’appartenance. Ash Love opère ici un geste paradoxal : découper ces objets pour mieux les révéler, les détruire pour les sublimer. Les backpacks déstructurés gardent leur pouvoir d’évocation tout en perdant leur fonction. Cette transformation questionne autant qu’elle célèbre nos attachements d’adolescence.
Au centre de l’exposition trône attachment style (2025), gigantesque nœud en tissu argenté qui occupe tout l’espace. Sa surface miroitante démultiplie les reflets des visiteurs comme ceux des autres œuvres. Traditionnellement associé au cadeau, le nœud devient ici un dispositif ambivalent, décoratif et contraignant, festif et interrogateur. Il matérialise peut-être cette complexité des liens contemporains, pris entre désir d’authenticité et codes marchands.
L’accrochage sobre d’Exo Exo permet à ces œuvres de déployer leur étrange familiarité. Les cœurs rouges ponctuent l’espace sans l’agresser, tandis que le nœud central impose sa présence chatoyante. On ressort de cette exposition avec une sensation troublante : celle d’avoir reconnu nos propres contradictions. « Selfish, Shallow and Self-Absorbed » ne dénonce pas tant la marchandisation de nos émotions qu’elle en révèle la complexité. Ash Love semble moins condamner qu’observer, moins trancher que questionner. Dans cette nuance réside peut-être la force de son propos : montrer que nos attachements contemporains ne sont ni totalement authentiques ni complètement fabriqués, mais quelque chose de plus trouble, à l’image de ces objets qui oscillent entre critique et complicité. •
Exposition « Ash Love. Selfish, Shallow and Self-Absorbed »
Jusqu’au 12 juillet 2025 chez Exo Exo
34, rue Albert Thomas – 75010 Paris
exoexo.xyz

Vue de l’exposition « Selfish, shallow and self-absorbe » d’Ash Love, Exo Exo, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Vue de l’exposition « Selfish, shallow and self-absorbe » d’Ash Love, Exo Exo, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Ash Love, attachment style, 2025, tissu miroir, fil, ouate, aimants, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Ash Love, gen ∞ (ROCK), 2025, patchwork de sacs à dos tendus sur cadre, colliers, perles, bibelots, écussons, clés, cadenas, 100 × 100 cm. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Ash Love, gen ∞ (LOVE), 2025, patchwork de sacs à dos tendus sur cadre, colliers, perles, bibelots, écussons, clés, cadenas, 100 × 100 cm. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Ash Love, gen ∞ (RESIST), 2025, patchwork de sacs à dos tendus sur cadre, colliers, perles, bibelots, écussons, clés, cadenas, 100 × 100 cm. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Vue de l’exposition « Selfish, shallow and self-absorbe » d’Ash Love, exo exo, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.

Ash Love, CHILDLIKE THINGS (bossy), 2025, verre soufflé, 24 × 25 × 12 cm. Courtesy de l’artiste. Photo : Exo Exo.