On a aimé : Marguerite Humeau à la Tate

Par Henri Guette

EXPOSITION // Expérimentant dans son travail autant la sculpture que le son, la Française Marguerite Humeau développe une esthétique du laboratoire. C’est à Londres, où elle vit et travaille, qu’elle a dernièrement proposé Echoes dans l’un des espaces de la Tate Britain.

Avant même de passer le sas, le visiteur est attiré par une énigmatique mélopée. Il entre dans un temple, dans un de ces lieux hors du temps où la couleur irradie. Ici, un jaune lumineux recouvre les murs, mis au point à partir du venin du mamba noir. Le serpent, qui aurait empoisonné Cléopâtre, renvoie aussi à l’un de ces dieux de l’Égypte antique. En polystyrène, Wadjet (King Cobra) trône aux côtés de Taweret, deux figures symboliques créées en 2015 pour une précédente version de cette installation.

Puisque du venin naît le contre-venin, le serpent peut être à la fois l’agent de la mort et l’agent de la vie. Enroulé autour du caducée, il accompagne chez les Romains Esculape, le dieu de la médecine. La science s’apparente dans cette pièce à une affaire de foi. Une dimension clinique réside dans la blancheur des idoles, celle des nombreux barils remplis d’élixir. Les tuyaux reliant des citernes à Taweret, suggèrent quelques mystérieux échanges de fluides. Le syncrétisme par lequel procède Marguerite Humeau se nourrit autant de la mythologie, de l’histoire que de notre présente société pharmaceutique. La panacée ici mise en boîte, avec l’aide de scientifiques, évoque des siècles de recherches et d’expérimentations chimiques. De quelle extraordinaire créature vient ce remède ? Mi-femme, mi-hippopotame, mi crocodile, ces hormones mélangées dont les vertus ont été prouvées séparément pourraient-elle nous guérir si elles étaient produites de façon industrielle ? La fiction qui se met en place joue à plusieurs niveaux de la capacité du spectateur à se projeter. Peut-être cela relève-t-il aussi bien de l’effet placebo ?

Puisque le circuit qui alimente Wadjet est clos, on constate que le serpent se mord la queue. Le motif alchimique de l’ouroboros n’est pas innocent, il désigne l’éternité. La boucle sonore qui reconstitue des chants égyptiens et donne à entendre, par logiciel, la voix de la reine d’Égypte finit de même par se répéter. Cléopâtre entame son chant d’amour à Marc-Antoine, dans les neuf langues pour lesquelles elle était connu — de l’égyptien au grec, en passant par l’araméen. Dans cette installation hypnotique, il est possible de s’abstraire un moment de la vie quotidienne, de soi-même. Le temps ne se compte pas lorsque l’on a le sentiment d’éternité. Passé et présent se mêle à en donner le vertige, en suivant la voix, nous parvenons à un au-delà. Le cycle de vie et de mort que nous propose d’examiner Marguerite Humeau dans cet environnement artificiel nous révèle autant prisonniers de contingences naturelles que libres d’user de ce temps imparti selon notre bon vouloir et sans mirage. //


Exposition Echoes by Marguerite Humeau
Jusqu’au 15 avril 2018 at Tate Britain
Millbank, SW1P 4RG3 London
www.tate.org.uk


Installation shots of Marguerite Humeau, Echoes at Tate Britain / Photo © Tate, Joe Humphrys

On a aimé : Marguerite Humeau à la Tate
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