Chez Derouillon, l’œuvre divinatoire de Shuo Hao

Sous le mystérieux titre « Huile de vitre », la nouvelle exposition de Shuo Hao (née en 1992, Chine) transforme la galerie Derouillon en un théâtre ésotérique, où se croisent dieux, chimères et souvenirs personnels.

S’il est vrai que le verre contient en lui le feu, alors ce qui en sort doit brûler à son tour. Pour sa nouvelle exposition, l’artiste chinoise Shuo Hao a choisi comme titre un terme qui évoque la croyance alchimique selon laquelle le vitriol serait cette « huile de vitre », ardente et fumante. Image métaphorique de la transmutation des éléments et des énergies, cette matière corrosive se fait ici le creuset d’un imaginaire riche, nourri de syncrétismes et de fusion des genres. Ses œuvres, disposées dans l’espace selon des principes taoïstes et en fonction des quatre points cardinaux, convoquent pêle-mêle des figures d’ornements médiévaux, des références à l’iconographie extrême-orientale, à la culture chrétienne, ou encore aux mythes antiques gréco-romains. Cerbère, le gardien des Enfers, côtoie ainsi la sainte Agathe, dont le sein fut coupé, tandis qu’un peu plus loin, Iris, la messagère des dieux, voisine avec un Sphinx rendu muet, sans énigme.

À cette stratification symbolique et narrative répond une mise en œuvre tout aussi composite, d’où se dégage un certain surréalisme, domestique et feutré, qui est autant celui des accumulateurs que des cartomanciens. Travaillant par assemblages d’objets et de meubles, par placages, par inserts, Shuo Hao brouille ici les frontières entre arts décoratifs, peinture et sculpture. Guéridons, tables basses, armoires et chevalets se transforment en totems ou servent de supports aux images qui s’agencent, toutes ensemble, comme un rébus géant, une charade étrange, les arcanes d’un tarot. Dans l’une de ces vitrines, Hao a déposé quelques vieux livres chinés et des carnets de familles qui ne sont pas la sienne, sur lesquels elle dessine pour en changer l’histoire. Les seuils deviennent poreux entre l’intimité, le sacré, le mystère. Par ces entrebâillements se dérobe un secret… 

Quel est-il ? Que dissimulent ces portes ornées de figures blêmes ? Et ces coffres à tiroirs ? Et ces profils fuyants aux orbites toujours vides ? On apprendra qu’un deuil traverse l’exposition, la perte récente du plus proche ami de l’artiste. Pour lui rendre hommage, elle a réalisé une œuvre, installée au Nord-Ouest, du côté de l’automne : « Offrande éternelle », un paravent à trois panneaux, chiffre de l’infini chez les taoïstes et date commune d’anniversaire. Sur l’avers, trois symboles, une chandelle, un disque et une sorte de fruit surplombent un grand serpent se dévorant la queue. Au revers, une chimère, entre cygne et sirène, traverse le bleu des nuits. Par cet ultime présent, le rituel s’accomplit, qui fait se retrouver les vivants et les morts.

« Huile de vitre », V.I .T.R.I.O.L. Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem, prescrit l’ancienne devise : « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. »  Entre science et mystique, poésie et remède, c’est un geste d’amour qu’inaugure l’Œuvre de Shuo Hao. C’est aussi un appel à la descente en soi. Qu’importe la nature des trésors que l’on cache, pourvu que cela soit beau et que cela nous lie.


Exposition « Shuo Hao. Huile de vitre »
Jusqu’au 4 octobre 2025 chez Derouillon
13, rue de Turbigo – 75002 Paris
derouillon.com


Vue de l’exposition « Huile de vitre » de Shuo Hao, Derouillon, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Shuo Hao, La terre, la mère, 2025, huile sur bois, 210 × 205 × 45 cm. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Vue de l’exposition « Huile de vitre » de Shuo Hao, Derouillon, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Shuo Hao, La nuit de Déméter, 2025, huile sur bois et toile, 188 × 224 cm. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Vue de l’exposition « Huile de vitre » de Shuo Hao, Derouillon, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Vue de l’exposition « Huile de vitre » de Shuo Hao, Derouillon, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Shuo Hao, Sacrifice d’animal blanc, 2024, huile sur bois, 48 × 58 cm. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Shuo Hao, L’ami d’Aphrodite, 2024, huile sur bois, 55 × 32 cm. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Vue de l’exposition « Huile de vitre » de Shuo Hao, Derouillon, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Shuo Hao, Offrande éternelle, 2025, huile sur bois, 113,5 × 207 × 2,5 cm (paravent ouvert). Courtesy de l’artiste et de Derouillon. Photo : Gregory Copitet.

Chez Derouillon, l’œuvre divinatoire de Shuo Hao