Représentée par Perrotin, Mathilde Denize (née en 1986) n’avait pas encore bénéficié d’une exposition personnelle dans une institution francilienne. Céline Poulin, directrice du Frac Île-de-France, lui a offert les espaces du Plateau pour un pas de deux, entre peinture et arts du spectacle.
La pratique de Mathilde Denize est une parade trouvée à une impossibilité picturale originelle. Dès son diplôme des Beaux-Arts en 2013, l’artiste cherche à capter « cette présence silencieuse qui lévite entre le sol et le plafond des espaces d’exposition », qui n’est rien d’autre que la vie dans sa tentative de devenir art, ou inversement. L’impossibilité de jouer sur l’espace de la toile toute la profondeur et les nuances d’une existence l’a conduite, depuis sa performance Haute Peinture en 2019 à la Fondation Ricard et au musée des Beaux-Arts de Dôle, à trouver une parade, suivant le titre du « ballet réaliste » de Jean Cocteau de 1917, qui donnait vie aux costumes de Picasso.
En créant des costumes à partir des toiles qui portent cet insaisissable, l’artiste trouve un moyen d’échapper à la planéité retorse de la peinture. Telles les enveloppes d’invisibles passe-murailles — certains s’y fondent ou en émergent, d’autres font la ronde, pendus à des cintres, évoquant les Aveugles de Brueghel, d’autres encore, rappelant la robe de chambre du Balzac de Rodin —, les œuvres ramènent à cette hantise d’une apparition qui échappe, d’une image non réalisable. Où l’impossibilité de peindre revient tout de même à la peinture, ou à la sculpture. C’est aussi le sens de son film tourné à la Villa Médicis en 2021, ici entrecoupé de séquences prises au téléphone, le tout flouté, comme si les personnages et formes fantomatiques en étaient vus à travers des yeux clos.
La parade textile ne serait qu’un jeu évanescent si Mathilde Denize ne donnait pas la possibilité au spectateur de devenir acteur de l’œuvre. La formule, pour clichée qu’elle soit, retrouve ici des couleurs, puisque l’artiste investit, outre les salles d’exposition, l’espace qui les précède, habituellement dévolu à la pratique et à la médiation. Les tables ont été remplacées par un portant sur lequel repose une vingtaine de hauts que tout le monde peut revêtir pour arpenter les lieux. Ces couleurs mises en mouvement par le visiteur même, Mathilde Denize l’invite à les filmer. Il devient donc sujet et objet de l’action, à la fois devant et derrière la caméra, à laquelle il prête son regard.
Cette activation de la parade porte l’ensemble au niveau des expériences qui du Cabaret Voltaire au Poïpoïdrome de Filliou ont entrepris la fusion de l’art et de la vie à travers des œuvres totales, dont la conception englobait souvent le lieu même de leur monstration. Elle propose aussi une approche pratique, dynamique et synesthétique, d’un certain constructivisme cinématographique, qui visait à montrer à l’écran ce que l’œil perçoit de façon mécanique, dans la lignée du ciné-œil de Dziga Vertov, jusqu’à créer une narration. La ligne continue sur les murs, à l’arrière-plan des pièces, est une invitation à un tel montage cinématographique, où la caméra rejoint la chorégraphie, d’où le titre de l’exposition. Peinture en mouvement, peinture du remploi, la parade de Mathilde Denize questionne donc aussi bien la réception que les usages possibles de la peinture. Loin de l’objet fini, encadré ou soclé une fois pour toute, c’est dans un cycle dansant perpétuel que l’artiste nous entraîne. •
Exposition « Mathilde Denize. Camera Ballet »
Jusqu’au 11 janvier 2026 au Plateau
22, rue des Alouettes – 75019 Paris
fraciledefrance.com

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Mathilde Denize, Sound of Figure, 2024, acrylique et aquarelle sur toile, cuir, vinyle, daim, jean, kraft, métal, 207 × 58 × 33 cm. Photo : Guillaume Zicarelli © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Mathilde Denize, Sound of Figures (détail), 2025, acrylique et aquarelle sur toile, céramiques émaillées, feutre, métal, 180 x 200 x 35 cm. Photo : Erwan Fichou © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Mathilde Denize, Sound of Figure, 2024, acrylique et aquarelle sur toile, cuir, vinyle, daim, jean, kraft, métal, 207 × 58 × 33 cm. Photo : Guillaume Zicarelli © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Camera Ballet » de Mathilde Denize, Frac Île-de-France, Le Plateau, Paris, 2025. Photo : Tanguy Beurdeley. © Mathilde Denize / ADAGP, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.