Les poupées de songes de Liselor Perez

Dans le cadre du Prix Rubis Mécénat, dont elle est lauréate cette année, Liselor Perez (née en 1999) présente « Cent sommeils », une déambulation poétique en trois temps orchestrée avec la complicité de la commissaire d’exposition Julia Marchand, dans l’église Saint-Eustache, à Paris.

Ce sont quatre pantins de résine ou de bois, quatre modestes figures de chiffons et de cuir. La première, la plus grande, géant recroquevillé contre un pilier de la nef, se confond parfaitement avec le calcaire blond du monument. Même usure, même patine, elle semble posée là depuis toujours, accroupie sur le sol, s’offrant à nos regards en posture de repli. Son bras est une colonne soutenant une épaule ornée de feuilles d’acanthe. D’étranges nervures de voûtes ceignent son visage borgne, dont l’unique œil restant est une applique dorée, semblable à celles des lampes suspendues là, derrière. Quelle est donc cette chimère au torse maçonné ? Ce monstre-architecture ? Est-ce un gardien ou un génie ? Est-ce le fantôme ou l’âme des lieux ? Sur sa poitrine, une rosace creuse une ombre à l’endroit du cœur. C’est ici que réside le mystère, là que Liselor Perez entrouvre les portes de son monde.

Cette sculpture imposante marque un tournant pour la jeune artiste, qui a su profiter de l’opportunité du Prix Rubis Mécénat pour s’aventurer vers le monumental. Habituée, en effet, à travailler sur des dimensions plus réduites, elle embrasse ici mieux l’échelle de l’édifice, tout en conservant, par la posture, cette proximité avec le visiteur qui fait le charme de toutes les autres œuvres. Car le géant, pour l’heure, demeure une exception. Les figures qui complètent le récit de « Cent sommeils » appartiennent pour leur part à notre échelle humaine.

Près de l’entrée du transept Nord, d’abord, deux pantomimes posés, comme fatigués par une trop longue conversation. L’un se tient bras ballants sur une chaise, l’autre assis sur une marche, appuyé contre une porte, dont le vantail semble fait du même bois sombre que les lames de placage qui lui servent d’ossature. Eux aussi se fondent dans leur environnement, ou plutôt paraissent naître de lui. Des motifs similaires à ceux peints sur les murs se retrouvent en effet sur les tissus d’ameublement qui les couvrent, eux, en partie. Leurs corps vides, leur silence, leurs gestes arrêtés, les indices de leurs liens avec le lieu autour, échafaudent une intrigue qui le rende à son décor, à son inachèvement. « L’idée du constructible est importante pour moi », précise Liselor Perez. « Mes sculptures sont articulées, je dois les manipuler avec soin pour les installer, comme de vraies personnes. Comme nous, elles sont soumises à la gravité, elles réagissent à ce qu’on leur fait. » Quant à l’idée de les réduire à des marionnettes, en les suspendant par exemple, pour qu’elles se tiennent, l’artiste rechigne en s’expliquant : « je les préfère dans des postures lâches, non performées, non dominantes. » Le potentiel manipulable, l’idée de pouvoir le faire sont plus forts que l’acte lui-même. Ils nous font nous attacher d’autant plus à ces mutiques polichinelles, laissés à la merci des histoires que chacun voudra bien se raconter.

Cette force narrative et expressive se manifeste de manière encore plus frappante avec la dernière installation. Soit, dans l’une des chapelles du déambulatoire, une poupée dont le visage, malgré sa coloration de vitrail, possède cette fois des traits humains, dont le corps est couvert de linge de maison étonnamment semblable à la nappe de dentelle voisine, dont la jambe gauche en cuir imite le motif de plumes du lutrin d’à côté, mais surtout dont la pose, genou au sol, bras et regard tendus vers le ciel, fait écho au geste de prière qui est celui de la Vierge sur le bas-relief de l’autel, ou du fidèle qui viendrait là se recueillir. On comprend mieux ici combien il ne s’agit pas de faire œuvre simplement avec le décor, à partir de lui ou en s’inspirant de ce qui se trouve autour, mais également en intégrant les attitudes et les dispositions que cet environnement génère en nous. Tout cela avec une grande humilité et un profond respect, à la fois pour le lieu et pour ses visiteurs.


Exposition « Liselor Perez. Cent sommeils »
Jusqu’au 30 novembre 2025 à l’église Saint-Eustache
2, impasse Saint-Eustache – 75001 Paris
rubismecenat.fr


Liselor Perez. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils, 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils (détail), 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils, 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils (détail), 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils (détail), 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils (détail), 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Liselor Perez, Cent Sommeils (détail), 2025, courtesy de l’artiste et de Rubis Mécénat. Photo : InstanT Productions.

Les poupées de songes de Liselor Perez