Torbjørn Rødland : « J’essaie d’éviter les platitudes contemporaines »

Aimantées à des références culturelles prosaïques, les images du photographe norvégien Torbjørn Rødland (né en 1970) circulent dans une étrange contemporanéité. À Paris Photo, où il était présenté, ses photographies offrent des scènes symboliques aux détails magnétiques. Entretien avec Nadine Wietlisbach, directrice du Fotomuseum Winterthur et co-commissaire du secteur Voices.

Dans votre travail, symbolisme, réalisme et romantisme circulent avec fluidité au sein d’un même cadre. Comment naviguez-vous entre les idées spontanées, intuitives, et votre imagerie soigneusement construite, souvent marquée par la dichotomie ?

Torbjørn Rødland : Je suis attiré par les images à plusieurs strates — des compositions formellement claires mais difficiles à cerner. Elles gardent pour moi une part de mystère. Je peux les lire de différentes manières. Mon processus commence souvent par une certaine construction, mais une fois la scène en place, tout peut arriver : tout ce qui insuffle plus de justesse et de vie à la photographie finale. L’impulsion initiale va généralement du banal à l’étrange, puis j’essaie de la ramener vers le quotidien.

Quelle importance l’intimité revêt-elle pour vous en photographie ? Je crois qu’une certaine ambivalence dans l’interprétation créer une tension et invite le regardeur à entrer en dialogue.

Torbjørn Rødland : Le spectateur doit être invité d’une manière ou d’une autre. J’accorde une grande importance à la dimension intime de l’expérience visuelle, que ce soit dans une galerie ou avec un livre. Et puis, il y a cette intimité propre à la photo- graphie. La surface d’un écran ou d’un tirage n’a rien d’excitant en soi. Pour compenser cela, j’essaie de rendre les surfaces visuellement engageantes. Mes images peuvent repousser autant de spectateurs qu’elles en attirent, mais c’est normal. Tout le monde n’apprécie pas ce que, moi, j’y trouve de précieux.

Ce qui m’attire notamment dans votre pratique, ce sont les titres. Ils sont évocateurs, lyriques, parfois teintés d’humour. Comment vous viennent-ils à l’esprit ? 

Torbjørn Rødland : Je note des phrases et des idées de titres à la fin de mon agenda. Ce sont des mots glanés au fil de mes lectures, sur papier ou en ligne. Les titres viennent généralement de cette liste, à moins qu’il ne s’agisse de simples mots descriptifs désignant un élément de l’image. Mes négatifs restent sans titre jusqu’à leur tirage — une attente qui peut durer plusieurs années.

Notre culture visuelle est aujourd’hui façonnée par les réseaux sociaux, tandis que votre travail évoque souvent des références esthétiques ou conceptuelles issues de l’histoire de l’art. Comment décririez-vous votre langage visuel ? Quelle est votre relation aux traditions de l’image dans notre monde contemporain ?

Torbjørn Rødland : J’essaie d’éviter les platitudes contemporaines. Je veux aussi qu’une image possède une certaine gravité et je suis souvent attiré par ce qui fut autrefois mainstream — des motifs, des attitudes jadis célébrés, mais tombés depuis en désuétude. Mes images interrogent souvent la possibilité que ce que je montre ait encore du sens aujourd’hui, malgré les critiques qui l’ont relégué à la marge. Et elles sont conscientes de ce questionnement. Elles ne l’ignorent pas. Elles savent à quelle époque elles appartiennent. Mon approche consiste peut-être à réactiver d’anciennes formes culturelles en les réinscrivant dans un langage visuel plus contemporain. C’est avant tout une démarche intuitive, bien plus qu’une série de références planifiées. Pour prendre un exemple issu de la sélection exposée dans Voices à Paris Photo : je n’ai perçu First Altarpiece comme une image de calvaire qu’en étudiant la planche-contact. Le titre renvoie donc à ce que j’ai découvert dans la photographie après coup.


Torbjørn Rødland
presenhuber.com


Torbjørn Rødland, Home Song, 2020-25, chromogenic print, Fuji Crystal Archive Matte paper, 45 × 57 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Eva Presenhuber (Zurich/Vienne).

Torbjørn Rødland, First Altarpiece, 2018, chromogenic print on Kodak Endura paper, 76 × 60 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Eva Presenhuber (Zurich/Vienne).

Torbjørn Rødland, The Ring, 2017, chromogenic print on Kodak Endura paper, 60 × 76 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Eva Presenhuber (Zurich/Vienne).

Torbjørn Rødland, Boy with Japanese Knife, 2019-23, chromogenic print on Kodak Endura paper, 57 × 45 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Eva Presenhuber (Zurich/Vienne).

Torbjørn Rødland, First Abduction Attempt, 2014-16, c-print on aluminium, 112.5 × 142.5 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Eva Presenhuber (Zurich/Vienne).

Torbjørn Rødland : « J’essaie d’éviter les platitudes contemporaines »