Mathilde Albouy, l’éloge d’un jeu toxique

Première exposition personnelle de Mathilde Albouy, “Trust Me” établit une forme de fiction où le jeu domine et le danger rode. Par leur nature ambigüe, les œuvres présentées dessinent les contours d’un environnement toxique qui interroge le concept de féminité.

Apostropher le visiteur pour le séduire, l’attirer dans un piège : “Trust Me” se murmure comme un sésame qui ouvre une partie de jeu. L’espace d’exposition, par son sol vierge dû à la finesse des sculptures qui rasent les murs, s’apparente à un plateau de jeu, tandis que les œuvres, immobiles, semblent attendre qu’on les saisisse comme des pions. Mathilde Albouy (née en 1997, Paris) détient ce talent pour flouter la description des objets qu’elle conçoit. Ici, elle établit une atmosphère soupçonneuse et ludique à la fois, forçant le regard à céder toute circonspection. “Donner sa confiance, c’est la première règle à accepter lorsque l’on veut jouer. Dans l’exposition, il y a beaucoup de références au jeu. Les pliages en plomb et la figure de ficelle sont des jeux d’enfants détournés. La petite sculpture en forme d’épingle s’intitule d’ailleurs Play with me. Il faut faire confiance à son adversaire, croire au fait qu’il va respecter les règles, le jeu, et cette confiance est parfois impossible à donner.”, énonce l’artiste.

Mathilde Albouy fait alors du titre de l’exposition le point de départ d’une fiction. Une histoire où les protagonistes sont incarnés par des peignes et des épingles à cheveux, étirés à une échelle surdimensionnée par rapport à leur nature originale. Aiguisés comme des armes, les sculptures en bois font écho à l’attachement féminin pour le paraître : “Je me pose des questions sur le concept de ‘féminité’. Sur tout ce que l’on attend d’une femme et d’abord, sur les limites qu’il ne faut pas dépasser, sous peine de devenir ‘monstrueuse’ aux yeux de la société. On peut considérer que la chevelure est un symbole de vitalité et le peigne ou l’épingle sont des outils pour la retenir, l’ordonner mais aussi la soigner. Au fond, ce sont des objets de soin et de contrôle à la fois. J’ai pensé qu’en les surdimensionnant, je pourrais peut-être souligner cette ambiguïté.”, renseigne-t-elle. Pour l’artiste, ces accessoires sont devenus des individus à part entière, avec une existence propre qui s’est imposée à elle en les sculptant : tantôt menaçants, tantôt sentinelles, leur présence corporelle est renforcée par une ossature affûtée.

Dans “Trust Me”, le poids du danger, de l’objet acéré ou toxique est récurrent. La série de peignes et d’épingles à cheveux dialogue avec un duo de bombonnes en acier qui semble à demi encastrées dans un mur. On ignore si elles-mêmes sont des “victimes” (absorbées par le mur) ou si elles sont la menace qui rode (émergeant de lui, prêtes à exploser). Leur aspect métallique ricoche avec celui de deux autres sculptures (Combien tu veux ? et String Figures), fabriquées en plomb – matériau nocif choisi par l’artiste pour ses pouvoirs infinis de transformation. À travers toutes ces menaces, Mathilde Albouy questionne la place de l’être au sein d’un environnement ambivalent, où la prudence s’impose. “Je pense que tous ces signes ‘dangereux’ sont des systèmes de défense et l’expression d’une colère qui motive mon travail”, conclut-elle. 


Exposition “Trust Me” by Mathilde Albouy
Jusqu’au 30 septembre 2023 at Galerie Derouillon, Hôtel Cromot du Bourg
Hôtel Cromot du Bourg – 75009 Paris
galeriederouillon.com


Vue de l’exposition “Trust Me” de Mathilde Albouy, Hôtel Cromot du Bourg, 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Vue de l’exposition “Trust Me” de Mathilde Albouy, Hôtel Cromot du Bourg, 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Mathilde Albouy, Bombshell Lovers, 2021, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Vue de l’exposition “Trust Me” de Mathilde Albouy, Hôtel Cromot du Bourg, 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Mathilde Albouy, Play with me, 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Mathilde Albouy, Combien tu veux ?, 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Mathilde Albouy, String Figure (butterfly), 2023, courtesy de l’artiste © Galerie Derouillon

Portrait de Mathilde Albouy © Eva Ayache

Mathilde Albouy, l’éloge d’un jeu toxique