Avec “Mirror Error”, Théo Mercier signe une nouvelle exposition qui parasite l’auto-contemplation : à coups de figures antiques et de grilles métalliques, l’artiste fait du miroir un objet absorbant tant la vanité humaine que la réalité.
Entre les deux étages de la galerie mor charpentier, une vingtaine de miroirs dépolis à l’acide entravent la déambulation du visiteur. Sur ces surfaces de verre vissées au mur par des structures métalliques, les reliefs de statues antiques donnent à cette galerie des glaces l’allure d’une salle aux portraits. Avec “Mirror Error”, Théo Mercier (né en 1984, Paris) propose au visiteur de se plonger dans une distorsion temporelle : qu’est-ce que ces effigies de l’art antique ont à voir avec notre actuelle passion pour la représentation de soi, en tant qu’individu, en tant qu’êtres humains ? Théo Mercier semble présupposer que ces humanoïdes antiques se remarquent davantage par leur qualité de traces du passage de l’humain sur Terre que pour leur aspect de portraits individuels. L’artiste se réfère simultanément à notre manière de mettre en scène notre reflet à l’ère numérique, sur les réseaux sociaux, à grands renforts de selfies, mais aussi dans la publicité, alors qu’on sait qu’un visage ou un regard sert la plupart du temps à capter l’attention d’un potentiel consommateur chez les publicitaires.
Dans “Mirror Error”, la présence du miroir serait une manière de faire écho à la vanité de l’esthète qui, regardant un Apollon ou une statuette mésopotamienne antique, s’admire aussi lui-même en tant qu’espèce, se projette dans la représentation artistique et technique d’une silhouette qu’il n’estime pas si éloignée de lui-même, reflétant en tout cas la fine fleur de la pensée et du faire. “Mirror Error” est en ce sens un jeu de reconnaissance. En témoigne la série Facetime, qui reprend des figures mythologiques et mythiques pour mieux les apposer sur le reflet du visiteur par transparence. Faustine la jeune, Héra ou l’Empereur Caligula sont montrés dans des poses rappelant celles, bien cadrées, que nous prenons automatiquement lors d’appels vidéo. Autant de communications durant lesquelles il nous arrive de fixer notre propre reflet pour s’assurer du positionnement d’une mèche de cheveux plutôt que de regarder notre interlocuteur dans les yeux.
Entre amour de soi et amour du genre humain, Théo Mercier met en scène l’histoire de l’art comme une immense somme d’objets en trompe-l’œil, nous permettant de nous admirer. La plus modeste et parfaite des cruches en terre cuite serait une manière de refléter le savoir-faire du genre humain à l’épreuve du temps : de la cuisson de céramique à Photoshop ou aux impressions 3D — suggérées par des tableaux sans perspectives aux effets de profondeur surréalistes. À l’endroit où l’artiste superpose différentes échelles d’images de grilles d’aération, les effigies tournent le dos à celui qui les regarde, alors déçu de ne pouvoir les dévisager. Comme si, par jeu de mot, l’artiste nous invitait à respirer en tournant le dos à l’autoportrait, à notre fascination narcissique que l’art chronique depuis des millénaires. Dans Tell me a scorie, les petites roches disposées en ribambelles sur des étagères transparentes évoquent non seulement la pierre, matière première des sculpteurs choisie pour sa résistance quasi éternelle aux intempéries, mais décrivent aussi, toujours avec un humour pince-sans-rire souligné par des fragments de poèmes, la manière dont des blocs minéraux racontent une histoire de la perception humaine. •
Exposition “Mirror Error” by Théo Mercier
Jusqu’au 30 septembre 2023 at galerie mor charpentier
61, rue de Bretagne – 75003 Paris
mor-charpentier.com