Portée par les thématiques qui irriguent la Biennale de Venise, la programmation off et in situ autour de ce temps fort de l’art contemporain met en lumière la vivacité d’une création internationale en prise avec son époque. Sélection d’expositions à voir sur place.
Amanda Ziemele au Pavillon de la Lettonie
Artiste choisie pour représenter la Lettonie dans le cadre de cette biennale, Amanda Ziemele (née en 1990) signe une peinture qui s’exprime de manière multidimensionnelle dans l’espace. Ses coques monochromes irrégulières ricochent avec un langage animal, végétal et minéral à la fois qui n’en détient pourtant aucune facette reconnaissable si ce n’est l’aspect organique qui détermine ces volumes. Orchestrant le rituel de formes en devenir, l’artiste célèbre ici une chorégraphie picturale où matière et texture apparaissent comme un médium total sensuel, imprégné de subtils échos narratifs à l’enfance, à la mémoire et au soin.
Irene Cattaneo et Bloko 748 chez Lo Studio
La galerie fondée par Nadja Romain présente une double exposition consacrée à l’artiste italienne Irene Cattaneo et au duo Bloko 748 — qui réunit les plasticiens Antonio Davanzo et Victor Miklos Andersen. Entrecroisant les formes créatives appartenant aux registres de l’art et du design, Lo Studio se transforme ici en une double scène : on pénètre d’abord dans l’atmosphère bleutée, alchimique et nébuleuse, de la jeune créatrice vénitienne qui explore le concept grec de “meteo” par des sculptures en verre, en marbre et en métal. Celles-ci, qui incarnent “la nature à la fois éphémère et éternelle des éléments météorologiques”, s’imposent en contrepoint des pièces imaginées par Bloko 748, installées dans une seconde salle ; mobilier et luminaires conceptualisent un environnement punk, où l’empilement des matériaux synthétiques et naturels formalisent la vision d’un espace quasi sci-fi.
Lee Bae à la Fondation Wilmotte
Utilisant l’espace de la Fondation Wilmotte comme une page blanche, Lee Bae établit ici une expérience artistique totale. Par le son, la vidéo, la sculpture et l’installation, l’artiste coréen intervient à même la surface du lieu pour y déployer son geste. L’exposition, intitulée “La Maison de la Lune Brûlée” se saisit du lien profond qu’entretient Lee Bae avec le daljip teugi, rituel populaire centenaire étroitement joint à la cosmologie. Fusionnant folklore et art contemporain, l’intervention de l’artiste énonce les indices, tant abstraits que structurels, des relations entre humanité et nature, tout en prônant un retour au renouveau et à la circularité.
Julien Creuzet au Pavillon français
Cette année, le pavillon français de la Biennale de Venise accueille un vaste projet de Julien Creuzet (né en 1986). Pensée comme “une expérience immersive et multi sensorielle”, son installation invite à la traversée d’un imaginaire peuplé de présences divines, voire mythologiques, connecté à Venise par ses eaux. Au sein du pavillon, l’artiste franco-caribéen entremêle les médiums, et livre une combinaison entre esthétique et intangibilité, grâce à la complémentarité de sculptures textiles, de l’audio, de la vidéo et de l’olfactif. “Il est important de déplacer physiquement et symboliquement les personnes dans une réalité qui échappe en grande partie à la question des institutions et des politiques culturelles. C’est sans doute utopique mais cela peut peut-être contribuer à changer certaines perspectives dans le futur.”, indique Julien Creuzet, connectant l’aspect onirique de sa proposition à la réalité.
Luciana Lamothe à la Galerie Alberta Pane
Exposée à l’Arsenale, en tant qu’artiste désignée pour représenter l’Argentine, Luciana Lamothe (née en 1975) investit parallèlement la Galerie Alberta Pane avec la rétrospective “Folding Roads”. Entre les sculptures, photographies, vidéos et dessins créés ces dix dernières années, se révèle un univers artistique fait de formes sinueuses et orthogonales, d’une esthétique organique et, en même temps, architecturale. Ce corpus d’œuvres exposé s’amorce par une série de pièces murales semées dans le corridor de la galerie, qui tente le regardeur à un examen minutieux : déformées, retravaillées, abstractisées, ces poignées de porte s’enveloppent d’une aura d’orfèvre, toute aussi précieuse que vernaculaire.
Gülsün Karamustafa au Pavillon de la Turquie
“Hollow and Broken — A State of the World”, soit en français “Creux et brisé — Un état du monde”, met en lumière le regard catastrophé de l’artiste turque Gülsün Karamustafa (née en 1946) sur le monde. À travers des lustres entourés de barbelés et des squelettes graphiques qui entourent des moules de colonnes architecturales, l’installation de l’artiste se veut souligner l’“état d’un monde vidé de sa substance par les guerres, les tremblements de terre, les migrations et le péril nucléaire qui se déchaînent à tout bout de champ, menaçant l’humanité tandis que la nature est sans cesse écorchée et l’environnement rendu malade.” Une apologie de la disparition que l’artiste justifie ainsi : “Je tente d’invoquer physiquement et émotionnellement ce phénomène : le vide, la béance, la rupture produits par une dévastation devenue banale, et dont le rythme devient de plus en plus impossible à suivre, par le chagrin inimaginable qui frappe encore et encore à des intervalles implacables, par les valeurs creuses, les luttes d’identité et les relations humaines fragiles”.