Pour sa première exposition à la galerie Semiose, le jeune artiste américain Justin Liam O’Brien (né en 1991, New York) aborde l’amour et la tendresse à travers une nouvelle série de portraits. Surtout, il nous montre une peinture traversée par sa propre histoire, puisant à des sources d’inspiration innombrables qui hissent les récits contemporains vers l’intemporel.
De sa formation initiale en école d’animation, Justin Liam O’Brien a conservé un dessin net, une manière synthétique de traiter les textures. Il suffit de regarder, par exemple, dans cette mystérieuse scène de plage (Only One Way, 2024), comment les corps, les tissus, jusqu’au sable, paraissent moulés dans le même matériau opaque que la carrosserie de l’avion ou le rétroviseur de la voiture. Aussi, d’observer ailleurs ce garçon, aux airs de héros des studios Pixar, qu’éclaire la lumière impeccable d’une flamme trop clairement détourée pour être vraie ; de voir ses yeux fixes et ronds, son visage sans imperfection, contrarié seulement par le traitement plus enlevé du pull, tricoté de coups de pinceaux hâtifs (Lighting, 2024). L’influence de l’imagerie numérique est évidente, pour autant, l’œuvre de Justin Liam O’Brien n’est pas étrangère à celle des grands maîtres. Ou du moins ne l’est plus. Et c’est là qu’elle devient intéressante.
S’il s’adonne à la peinture depuis 2017, c’est en 2019, à la suite d’une visite au Louvre, que sa pratique bascule et gagne en densité. D’abord, en puisant du côté des mouvements modernistes de la première moitié du 20e siècle. Le cubisme et le futurisme bien sûr, mais aussi le précisionnisme ou bien encore la peinture de Chirico et Hopper, dont il reprend le vocabulaire géométrique et l’attrait pour les paysages urbains désertés. Surtout, il y a chez lui quelque chose du réalisme magique, cette figuration imprégnée de mystère et qui pose un regard subtilement onirique sur la banalité, dotant le quotidien, le familier, d’une dimension proprement extraordinaire.
En remontant encore, c’est à la peinture maniériste et baroque des 16e et 17e siècles que Justin Liam O’Brien emprunte cette fois la dramaturgie et cette manière si affectée de composer une image. Des épigones de Michel-Ange, il s’approprie l’altération de l’espace par des perspectives raccourcies, mais également la sensualité flexueuse des attitudes et cet élancement de tige qui confère aux figures une dignité étrange. Il y a du Caravage, aussi, et du Georges de la Tour dans les ambiances clair-obscur et les chaires mordues d’ombre ; du Bronzino, pour sûr, dans la roideur ferme des visages, dans ces lèvres augustes et toujours closes.
Il est vrai qu’au premier regard les portraits de Justin Liam O’Brien peuvent paraître glaçants. Avec le temps, ils se découvrent cependant pleins de sensibilité. Il faut, pour en goûter toute la complexité, chercher dans le détail des gestes, des accords de couleurs, du traitement des surfaces. Dans Untraceable Path (2024), le vert du t-shirt du garçon et la lumière jaune du réverbère semblent avoir déteints et s’être mélangés dans les nuages. Nuit salie, rêves acides, on ne sait si le jour point ou s’il sombre à l’horizon. Plus loin, un homme braque son appareil photo sur une ombre. Scène hitchcockienne de voyeurisme, découpée de pans de murs aveugles et de silhouettes au couteau, entre désir et inquiétude (Decisive Moment, 2024). On pourrait encore citer cette figure, d’abord un peu trop sage, de la mélancolie : un homme assis en tailleur devant un tombeau de marbre ; et puis en s’approchant, l’œil est saisi par les veines grouillantes de la pierre, écrabouillées de peinture pas si tranquille (The Past Made Future, 2024). Enfin, cette grande composition verticale, où l’on voit deux jeunes hommes, l’un reposant sa tête sur le giron de l’autre, avec entre ses mains un chien (In The Wind, 2024). On dirait une pietà ou une Sainte-Anne, avec cette gravité mêlée d’inclination, cette solennité propre au lexique de la révélation. Il y a de l’aplomb dans le regard que nous lance l’un des deux garçons autant que dans la chaîne qu’il porte autour du cou et qui pend, droit, au centre du tableau. Cela tient bon, malgré la tempête qui menace et le paysage qui chavire.
En travestissant ainsi les personnes de son entourage en de religieuses poses, en puisant sans complexe à toutes les sources de l’histoire de la peinture, Justin Liam O’Brien fait œuvre de conciliateur et nous prouve que le passé et le présent ont encore quelque chose à se dire. Que les amours et les récits les plus contemporains conservent ce mystère éternel de la grâce, pour peu qu’on pose sur eux les regards les plus tendres. •
Exposition “All Sunsets Risen” by Justin Liam O’Brien
Jusqu’au 15 juin 2024 at Galerie Semiose
44, rue Quincampoix – 75004 Paris
semiose.com