Une peinture du presque vide selon Jean Claracq

Fragments fictifs, vignettes narratives, tableaux dans le tableau : les peintures de Jean Claracq déroulent une imagerie accidentée à la galerie Sultana, où ses personnages s’ancrent dans une atmosphère dominée par la solitude.

Ce sont souvent des scènes qui paraissent ordinaires. Un homme attablé, casquette rose vissée sur la tête, tapote son écran de téléphone. Son chargeur en fouillis sur la table, un ordinateur portable ouvert, on l’imagine diffuser une vidéo YouTube en fond sonore. À la différence près que Jérôme (2024) chamboule le cadre de nos représentations, et, ce faisant, instille une atmosphère de douce étrangeté. Une grande partie des toiles de Jean Claracq (né en 1991) produit cet effet. Le jeune peintre sait faire émerger les émotions quotidiennes les plus déroutantes à la surface de la toile. Il s’empare de la vie courante en peignant des scènes gigognes, renouant avec le genre pictural de la représentation des cabinets de curiosité. Même si ces tableaux dans le tableau sont parfois des extérieurs, tel Ville du soleil (2024), ils dégagent souvent une atmosphère ouatée. Laissant penser que le peintre nous montre les chimères qui agrémentent son intériorité : des figures mentales vers lesquelles on revient, qui ont l’odeur du chez soi.

Il est question d’une peinture qui tord le cœur. Même s’il montre toujours les mêmes êtres — des jeunes hommes souvent blancs, souvent musclés, souvent sapés — le peintre traduit toujours leur caractère esseulé. Mais à quoi est-il dû, ce sentiment de solitude profonde qui traverse des images néanmoins peuplées de plusieurs protagonistes ? Sûrement au fait que le décor qui les entoure n’en est précisément pas un. L’effet léger de perspective rabattue permet de donner première place à des éléments d’arrière-plan, qui jaillissent du fond des compositions. Des paysages en chantier, en transition entre l’urbain et le rural, des villes endormies, des ciels apocalyptiques paraissent sursauter dès que l’on tente de ne regarder que les personnages. La solitude larvée des toiles existe du fait que les hommes sont toujours pensés en fonction des éléments qui les entourent, seuls face à l’ampleur de leur environnement.

Ce sentiment participe à la transmission d’une matière vécue, nourrie d’une banalité qu’affectionne Claracq, mais aussi d’une intimité produite par la dimension des toiles. Ces très petits formats, disposés de manière éparse à la galerie Sultana, nous forcent à nous approcher au plus près des œuvres. La proximité répond à l’intimité représentée. Enfin, on s’interroge sur ces fontaines surplombées de baigneurs chromés, dont la charge sexuelle est soulignée par un promontoire phallique duquel coule un jet d’eau. Ces Manneken-Pis sont posés sur des amphores aux qualités sculpturales, soulignant l’intérêt décoratif des œuvres de l’artiste en général. Cet intérêt pour le décoratif est cependant plus intéressant lorsque l’artiste travaille les cadres qui bordent les peintures : l’encadrement d’une image de chien semble avoir été grignoté, le carrefour d’une route est entouré de vert, un parking est encadré d’un épais bord grisâtre, un homme en maillot de bain se détache d’un charnu cadre rose. Avec cette recherche, Claracq verse du côté de son goût pour les objets sans abandonner la peinture, approfondissant le pacte ancestral qu’elle a passé avec l’ornement. 


Exposition “Une fictions” by Jean Claracq
Jusqu’au 20 juillet 2024 at Galerie Sultana
75, rue Beaubourg – 75003 Paris
galeriesultana.com


Vue de l’exposition “Une fictions” de Jean Claracq, Galerie Sultana (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Jérôme, 2024, huile sur bois, 16 x 13,8 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Résidence de prestige, 2024, huile sur bois, 19,5 x 13,2 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Rond-point, 2024, huile sur bois, 13 x 12 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Vue de l’exposition “Une fictions” de Jean Claracq, Galerie Sultana (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Rassemblement Lamborghini, 2024, huile sur bois, 3,1 x 6,3 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Diane et Actéon, 2020-2024, huile sur bois, 50 x 56,6 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Jean Claracq, Blur More, 2024, huile sur bois, 9,2 x 10,4 cm. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Vue de l’exposition “Une fictions” de Jean Claracq, Galerie Sultana (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Sultana. Photo : Grégory Copitet.

Une peinture du presque vide selon Jean Claracq