Katherina Olschbaur : “J’ai toujours créé à partir d’une imagerie queer”

Explosion de couleurs et de figures, l’exposition “Sweet Expulsion” de Katherina Olschbaur (née en 1983, Autriche) présentait chez Perrotin des portraits fragmentés, où les corps se mélangent dans un chaos pictural techniquement abouti.

Vous avez grandi en Autriche et avez quitté Vienne pour Los Angeles en 2017. Quel effet cette décision a-t-elle eu sur votre pratique et votre carrière ?

Katherina Olschbaur : D’un côté, Vienne a été le coeur de mouvements radicaux comme l’actionnisme viennois qui m’inspire beaucoup, mais de l’autre, elle reste assez autoritaire pour les artistes. De mes études à mes premières années en tant que peintre, j’avais l’impression d’être soumise constamment à des règles : voici comment tu dois travailler, tu ne peux pas peindre comme ça… Par ailleurs, en tant qu’Autrichienne, j’avais une image assez fantasmée des États-Unis et notamment de Los Angeles, où tout est immense et ouvert. Mais c’est aussi un pays très violent, où j’ai beaucoup ressenti les dérives du capitalisme et les inégalités. Arriver à Los Angeles a été effrayant, mais cela m’a aussi permis de prendre un nouveau départ car j’avais perdu tous les repères qui m’étaient familiers jusqu’alors. […] Après sept ans dans mon atelier du Garment District à L.A., j’ai trouvé un studio à New York, une ville qui m’a toujours fait rêver et m’inspire aussi beaucoup, avec sa scène queer underground des années 1980 et 1990, la performance, la vie nocturne et la littérature que beaucoup d’artistes ont exploré et qui recoupent des thématiques majeures de mon travail.

Vos œuvres reprennent souvent des sujets de la peinture classique : odalisques, bustes, figures couchées… Vous admirez aussi El Greco, le Tintoret, Goya, Manet. Comment vous réappropriez-vous ces canons séculaires ?

Katherina Olschbaur : Jusqu’à il y a environ cinq ans, mes œuvres renvoyaient souvent à des références spécifiques, puis peu à peu, je m’en suis détournée. […] Plusieurs sujets classiques reviennent effectivement dans mon travail, comme l’intimité et la souffrance (les lamentations, la Pietà), ainsi que des éléments plus précis, comme des animaux ou des vêtements, mais ma démarche est avant tout spirituelle et primaire. Je suis particulièrement sensible à la composition : dans les peintures baroques, par exemple, j’étudie la manière dont les artistes représentent des scènes chaotiques, pour mieux me l’approprier. J’ai toujours créé à partir d’une imagerie queer, de films et de nouvelles interprétations d’icônes classiques ou religieuses comme Saint-Sébastien, qui m’inspirent vraiment. […]

Vous dites travailler de façon très intuitive dans votre atelier. Comment procédez-vous, en général ?

Katherina Olschbaur : Le dessin est depuis toujours mon langage privilégié : avant même de savoir parler, j’ai commencé à dessiner ! Sur la toile, j’utilise donc mon pinceau comme mon crayon, de façon très spontanée et rapide, en traçant les lignes qui définissent la composition et les formes. Ensuite, mon approche est à la fois additive et soustractive : j’ajoute la peinture au fur et à mesure, puis je l’étale et l’efface avec un chiffon quand elle est encore humide pour créer des effets de texture. Quand elle est sèche, j’en retire certaines parties avec des objets comme des emballages alimentaires, des morceaux de plastique, un couteau ou du papier de verre, avant de repasser dessus. […]

Par leurs lignes et leurs couleurs, vos figures ont cette fluidité qui les place aux confins des genres et des espèces. En attestent les êtres hybrides et sirènes contemporaines qui peuplent vos toiles oniriques. Que racontent-elles ?

Katherina Olschbaur : J’aime que mes oeuvres dégagent un sentiment ambigu, où le confort et l’inconfort se rencontrent dans une vision très exagérée du corps et de l’objet. Il y a un jeu d’attraction et de répulsion entre mes figures : est-ce qu’elles s’aiment ? Est-ce qu’elles se détestent ? Cette fluidité entre le masculin et le féminin, mais aussi entre l’humain et l’animal, renvoie à des mythes originels et à une énergie très primaire, physique. […]

Vous avez présenté chez Perrotin votre première exposition personnelle à Paris. Quel était son fil rouge ?

Katherina Olschbaur : Cette exposition s’inscrit dans la continuité des idées que j’ai explorées dans ma récente exposition (à Pékin), avec des formats beaucoup plus grands et des références au colour field painting. J’y approfondis mon travail sur les monochromes et la fragmentation de la figure. Ici, j’ai pensé à une explosion du paradis. Malgré leurs différences, ces toiles réfléchissent sur le collectif et l’individu, elles doivent s’exalter entre elles : de la destruction, elles finissent par composer une vision d’ensemble, quelque part entre un paradis et un paradis perdu. 

Retrouvez l’interview de Katherina Olschbaur en intégralité dans le hors-série The Steidz, disponible sur notre e-shop.


Exposition “Sweet Expulsion” by Katherina Olschbaur
Jusqu’au 21 septembre 2024 at Perrotin Paris
10, impasse Saint-Claude – 75003 Paris
perrotin.com


Vue de l’exposition de Katherina Olschbaur “Sweet Expulsion” chez Perrotin, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Perrotin. Photo : Claire Dorn.

Katherina Olschbaur, The Heaviest Sound, 2024, huile sur lin, diptyque, 228.6 × 401.3 × 5.1 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin. Photo : New Document.

Vue de l’exposition de Katherina Olschbaur “Sweet Expulsion” chez Perrotin, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Perrotin. Photo : Claire Dorn.

Katherina Olschbaur, Heavy Sound, 2024, huile sur lin, 221 × 200.7 × 5.1 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin. Photo : New Document.

Vue de l’exposition de Katherina Olschbaur “Sweet Expulsion” chez Perrotin, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Perrotin. Photo : Claire Dorn.

Katherina Olschbaur dans son atelier à Los Angeles, portant un costume de Bárbara Sánchez-Kane. Courtesy de l’artiste. Photo: Evan Bradford.

Katherina Olschbaur : “J’ai toujours créé à partir d’une imagerie queer”