Pour les dix ans de son installation dans l’ancienne Patinoire Royale de Bruxelles, la galeriste Valérie Bach s’offre une traversée dans l’œuvre de Gordon Matta-Clark. Conçue avec la complicité de Julien Frydman, ancien directeur de l’agence Magnum et de Paris Photo, l’exposition revient sur quelques-uns des plus emblématiques projets de cet artiste inclassable, disparu prématurément à l’âge de 35 ans.
Prenez une maison vide. Coupez-la en deux dans le sens de la hauteur. Rognez-en le soubassement de sorte que l’une des deux moitiés glisse et qu’une faille s’ouvre. De cette œuvre, Splitting (1974), il ne reste aujourd’hui que des prises de vue, quelques collages, une vidéo. Rien que des images, de quoi laisser croire que Gordon Matta-Clark (1943-1978) n’était au fond qu’un photographe, ne creusant les immeubles que pour créer des décors. Pourtant, ainsi que le rappelle Julien Frydman, commissaire de l’exposition consacrée actuellement à l’artiste américain par la Galerie La Patinoire Royale Bach à Bruxelles, ce médium n’était pour l’artiste qu’un support parmi d’autres, un matériau, et non une fin. « J’ai voulu précisément me concentrer sur le caractère performatif de son travail », ajoute-t-il. Pari osé, pari gagné.
La sélection opérée pour cet accrochage se concentre sur cinq projets phares de Matta-Clark. Bronx Floors (1972), tout d’abord, qui fait partie des tous premiers découpages d’architecture de l’artiste et par lequel on perçoit bien comment se met en place tout un langage formel et visuel, fait de troublants effets d’optiques, à la fois par le geste d’évider l’espace et par celui d’en saisir une image qui en perturbe encore davantage la perception. Un peu plus loin, rassemblées dans un dispositif scénographique rejouant le motif de la maison coupée en deux, deux séries de 1974 sont mises en regard : Splitting, dont nous parlions plus haut, et Bingo, également réalisée sur un pavillon de banlieue destiné à être détruit, mais dans lequel se devine une approche plus amusée, plus ludique, faisant du jeu une esthétique, presqu’un principe : avec sa façade découpée en quadrillage, la maison semble en effet ici celle d’une poupée, dont on verrait l’intérieur, un puzzle à reconstituer, une mise au carreau hyperbolique et fantasque. Les deux interventions Conical Intersect (1975), que l’on connaît bien en France puisqu’il s’agit de celle que fit Matta-Clark dans le quartier de Beaubourg, juste à côté du chantier du Centre Pompidou, et Office Baroque (1977), l’un de ses derniers chantiers et la dernière œuvre encore visible à sa mort en 1978, finissent de compléter l’exposition.
Ce sont donc seulement cinq années de création (de 1972 à 1977) qui retracent la trajectoire éclair de cet artiste si singulier. Outre la pertinence de la sélection, la force de l’exposition réside dans la richesse des médiums et des documents rassemblés : photographies, croquis, collages, et surtout, projeté sur le grand mur du fond, un ensemble de vidéos (dont une inédite) offrant au visiteur une expérience complète de ce que fut l’œuvre de Gordon Matta-Clark. Une œuvre d’anarchitecte, au sein de laquelle l’espace abandonné et le péril (symbolique et physique) devenaient un véritable sujet, peut-être même le seul qui vaille ; celle surtout d‘un poète acharné, qui perforait les murs pour éclairer l’histoire, les histoires, et qui toujours cherchait à faire gagner son art, ses rêves contre le réel. •
Exposition “Gordon Matta-Clark”
Jusqu’au 21 décembre 2024 at Galerie La Patinoire Royale Bach
Rue Veydt, 15 – 1060 Bruxelles
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