Théo Mercier : “Skinless est un jardin d’éden inversé”

À l’occasion du Festival d’Automne, Théo Mercier présente sa nouvelle création, Skinless, à La Villette. Une forme performative inédite qui dessine une sorte d’éden désenchanté, où le corps et l’objet résonnent avec les thèmes employés par l’artiste depuis une dizaine d’années.

À la lecture de vos œuvres, de grands thèmes se détachent : histoire / temps, science / logique, philosophie / être. Comment avez-vous constitué ce répertoire dans lequel vous puisez continuellement ?

Théo Mercier : J’envisage ma pratique comme une traversée du monde, posant un regard en permanente mutation sur ce qui nous entoure, nous habite, nous confronte. Il s’agit avant tout d’observer notre environnement global et de le questionner. Je tente de proposer des œuvres « ancrées » dans le réel, empreintes de réalité, qui se distordent comme des miroirs déformants, des horloges à démonter le temps, des contre-fictions, des histoires mutantes. Depuis mes débuts en tant qu’artiste, il y a une dizaine d’années, mes préoccupations sont sensiblement les mêmes ; ce sont les médiums que j’emploie, les échelles que choisis, qui évoluent. Je peux travailler avec la plus petite des figures un œuf, un coquillage, une perle et employer d’autres objets, radicalement plus gros, tels que des véhicules. […] Concrètement, de l’objet à l’espace, de la sculpture à la mise en scène, mais aussi de la collection à la chorégraphie, je tente en permanence d’offrir une traversée dans le temps et dans l’espace.

Vous êtes souvent comparé à un « artiste-archéologue » en raison des fragments et des reliques factices que vous imaginez. Pourquoi cette réécriture de l’histoire vous intéresse-t-elle ?

Théo Mercier : Toutes nos histoires sont bâties à partir de restes, de fragments, d’objets, de récits, de textes. Elles sont des compositions faites de beaucoup d’absence et de fantasme. C’est autour de ces parties fantômes que mon travail gravite. Il est l’endroit du fantasme, l’endroit de tous les possibles. Pour moi, l’Histoire comme on l’apprend n’existe pas et l’on devrait plutôt parler d’« Histoires ». Il y aurait tellement d’autres manières de conter le monde… Pour moi, cela relève de la mission d’un artiste, créer de nouveaux territoires, à penser, à partager, à habiter, à raconter. Chacun de mes projets se déplie comme une fiction et se développe à partir d’un fragment du monde réel, qui dérive, déborde, divague. Je pars d’un petit bout de commun pour créer un endroit inconnu.

Vous évoluez aussi à travers des performances et des mises en scènes, telles que Skinless, votre dernière création présentée cet automne. Quel est son propos ? 

Théo Mercier : Skinless est mon dernier spectacle, présenté en novembre à la Grande Halle de la Villette à Paris. C’est une histoire d’amour qui prend place sur 90 tonnes de déchets. Une sorte de jardin d’Éden inversé, où l’amour serait le seul rempart pour survivre dans les ruines du capitalisme ; une dystopie érotique à la fois sombre et lumineuse ; mais surtout, une tentative de réconciliation sensuelle avec ce que l’on a laissé, blessé, car le déchet est avant tout une histoire de séparation. Skinless est un projet ambitieux puisqu’au fil des dates de la tournée, nous prévoyons de sourcer des rebuts locaux, et chaque territoire se réinventera alors comme un nouveau continent à apprivoiser, à aimer. Les déchets ont une forte puissance contestataire, ils mettent en désordre le monde. Finalement, voilà un peu de chaos, beaucoup d’amour et tout un tas de métamorphoses.

Parallèlement, vos dispositifs d’installation impliquent souvent des socles, des vitrines, des étagères, comme on en trouve dans une exposition d’histoire naturelle. En quoi ces indices muséographiques servent-ils votre esthétique ?

Théo Mercier : La question de la mise en scène est très importante dans mon travail. Je l’envisage comme une manière de jouer avec le regard. Le socle, la vitrine, l’écran, la scène de théâtre sont autant de dispositifs qui racontent ces regards, ils enclenchent un rapport à l’objet, un rapport à l’autre. J’aime travailler avec ces dispositifs pour tenter de créer de nouvelles relations aux choses. Selon moi, le « socle » est autant important dans la narration que ce qu’il supporte, c’est lui qui propose le point de vue. Si je parle souvent du musée et de ses outils, c’est que ce lieu, dans tout ce qu’il représente, est une véritable machine à raconter des histoires, à raconter l’Histoire. J’aime m’infiltrer dans son système pour « hacker » l’œil du regardeur, ses habitudes, ses réflexes. […]

L’intégration de l’écriture comme objet graphique est aussi un geste récurrent. Comment justifiez-vous cet intérêt de rendre visible le mot et le sens qu’il apporte ?

Théo Mercier : Les mots sont pour moi comme des objets à mettre en scène. Ils sont l’ombre des choses, leur fantôme parlant. Depuis toujours, j’attache aussi beaucoup d’importance aux titres des œuvres et, surtout, aux titres de mes expositions. Pour les choisir, je dois également voir aussi comment ils se composent sur une page ou une affiche. J’entretiens une relation très forte à la musique, et le mot écrit reflète naturellement pour moi une rythmique, une sonorité qui se traduit en noir sur blanc et se détache de la page. 

Retrouvez l’interview de Théo Mercier en intégralité dans le nouveau numéro de The Steidz, disponible sur notre e-shop.


Performance “Skinless” by Théo Mercier
Du 21 novembre au 8 décembre 2024 at La Villette (75019 Paris)
dans le cadre du Festival d’Automne / Les 13 & 14 mars 2025, at Le Volcan, scène nationale du Havre / Du 2 au 4 avril 2025, at Les Subs (Lyon) dans le cadre de Transforme, un festival de la Fondation d’entreprise Hermès
festival-automne.com


Théo Mercier dans son atelier. Courtesy de l’artiste. Photo : Claudio Fleitas.

Vue de l’atelier de Théo Mercier. Courtesy de l’artiste. Photo : Claudio Fleitas.

Théo Mercier, Skinless, 2024, performance. Courtesy de l’artiste. Photo : Erwan Fichou.

Théo Mercier dans son atelier. Courtesy de l’artiste. Photo : Claudio Fleitas.

Vue de l’atelier de Théo Mercier. Courtesy de l’artiste. Photo : Claudio Fleitas.

Théo Mercier, Marée blanche (detail), 2024, onyx blanc, acier inoxydable, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. Photo : Erwan Fichou.

Théo Mercier : “Skinless est un jardin d’éden inversé”