La Maison Européenne de la Photographie, à Paris, enclenche de nouveaux récits autour de la représentation végétale. À travers les œuvres d’une quarantaine d’artistes, l’exposition enracine de multiples liens entre les figures naturelles et humaines, sans délaisser les esthétiques scientifique et technologique.
C’est à partir des écrits de l’Africaine-américaine féministe Octavia E. Butler, que le projet de l’exposition “Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes” est né dans l’esprit de Clothilde Morette, directrice artistique de la MEP, et développé avec la co-commissaire Victoria Aresheva. Découpé en six chapitres, l’accrochage thématique encourage les correspondances entre les arts, embrassant près de deux cents ans de création.
Dans le Studio de la MEP, se succèdent alors, en une palette chromatique composée de roses et de parmes, le halo rougeoyant d’un coucher de soleil, l’acier de gratte-ciels et les nuits bleues d’une ville endormie. L’installation vidéo de Ludovic Sauvage (né en 1985), Late Show (2024), forme grâce à des images glanées ici et là, travaillées au moyen d’une intelligence artificielle, un clip dont l’esthétique et la narration sont reprises des trailers des productions hollywoodiennes. La bande sonore, imaginée par Camille Michel, est, elle, hypnotique, propice à une méditation visuelle. Envoûtante entrée en matière de l’exposition.
À l’étage, on est surpris par une variété de formes et de couleurs d’espèces végétales dont on ignorait jusqu’alors l’existence : tulipes perroquet, dauphinelles, jacinthes d’eau. Il y a, indéniablement, une beauté qui s’offre au regard, une beauté de ces plantes et de ces feuilles auxquelles on n’accorde d’ordinaire que si peu d’attention, tout entier à notre anthropocentrisme. Un alliage de textures et de dégradés de tons que l’on pourrait pensé par l’homme tant il semble être le produit d’un désir abouti d’esthétisation du monde. Au 19e siècle, déjà, et durant les premières décennies du siècle suivant, on voulut capturer grâce à l’outil photographique les volutes et arabesques de ces spécimens à des fins scientifiques (Anna Atkins, Asplenium angustifolium, vers 1852), avant de s’intéresser aux qualités formelles de leur morphologie organique (Albert Renger-Patzsch, Heterotrichum macrodium, 1922-1923), passant de clichés utilitaires à une pratique artistique à part entière avec le mouvement de la Nouvelle Objectivité. On découvre par la suite, ce qui, peut-être, est l’un des plus beaux ensembles exposés : les photographies encadrées de céramique émaillée de l’Américain Sam Falls (né en 1984), Pregnant Pause (2022) et Reflection (2022). Des marques laissées en négatif dans l’argile par l’empreinte de tiges et de pétales encadrent un instantané comme le souvenir déjà précieux des espèces menacées d’extinction. Créations poétiques qui se jouent des frontières poreuses entre peinture, sculpture et photographie.
Dans les extraits des films présentés, la flore est animée par le mouvement, traversée elle aussi, telle que l’homme, par l’inéluctable évolution biologique matérialisée par le cycle de la vie : germination, floraison et pollinisation (Walon Green, The Secret Life of Plants, 1979). C’est, dans ces salles plongées dans la demi-pénombre, qu’on se sent saisi par la fascination qu’exerce la nature. Il nous semblerait même, devant La croissance des végétaux (1929) de Jean Comandon, voir apparaître sous nos yeux Loïe Fuller tant les pétales peuvent être apparentés à ses bras tournoyant sur eux-mêmes dans sa fiévreuse Danse serpentine (1905). Dans l’une des dernières sections, “Les plantes vous observent”, écrivains et cinéastes ont été réunis pour donner à voir les sources d’inspiration puisées dans l’univers végétal, employant fleurs et arbres au service de scénarios de science-fiction. Devant la caméra de Steve Sekely et Freddie Francis (La Révolte des Triffides, 1962) ou encore Philip Kaufman (L’Invasion des profanateurs, 1978), les plantes cristallisent les angoisses du genre humain. Déjà, face à la série photographique “The Miracle Garden” (2019) d’Elspeth Diederix, on était pris d’effroi devant ces fleurs qui composaient des bouches au hurlement silencieux. Il fallait sans doute cela, une exposition d’œuvres photographiques, performées, visuelles et sonores, pour daigner, enfin, porter un intérêt au monde naturel et peut-être susciter le désir d’en prendre soin, d’œuvrer à sa protection, afin que l’issue dystopique tant fantasmée ne devienne réalité. •
Exposition “Science/Fiction — Une non-histoire des Plantes”
Jusqu’au 19 janvier 2025 at Maison Européenne de la Photographie
5-7, rue de Fourcy – 75004 Paris
mep-fr.org