Jusqu’au 2 mars prochain, le musée Paul Valéry à Sète accueille quarante toiles de Brigitte Aubignac et autant de Nazanin Pouyandeh, sous forme d’une double monographie mise « En regard ».
D’un côté, le trait fluide et instinctif de Brigitte Aubignac (née en 1957, Boulogne-Billancourt) ; de l’autre, la précision tout en minutie de Nazanin Pouyandeh (née en 1981, Téhéran). Si les deux peintres diffèrent en style, elles se rejoignent pourtant sur de nombreux points que le musée Paul Valéry propose au public d’appréhender.
Pour Brigitte Aubignac comme pour Nazanin Pouyandeh, la peinture, leur peinture, c’est la vie, leur vie : c’est-à-dire, leurs personnes et les personnes qui les entourent, les images qui les hantent et qui ressurgissent, leurs visions respectives du monde. « Quand on est peintre on se sent avant tout chose, peintre. » : Nazanin Pouyandeh partage son héritage avec Brigitte Aubignac et les autres artistes ; celui de siècles d’histoire de l’art, histoire dans laquelle les peintres s’ancrent et s’encrent. Cette filiation est omniprésente chez les deux artistes qui convoquent de nombreuses références, des œuvres d’époques, de cultures et géographies variées. Nazanin Pouyandeh présente par exemple dans l’exposition ses propres « shungas » directement inspirées de cet art érotique japonais et on trouve dans ses œuvres aussi bien des masques sacrés africains que des représentations de tableaux de grands maîtres flamands ou italiens…
Nouveaux récits
Dans une grande toile intitulée Grande salle LII (2024), Brigitte Aubignac rassemble tout un panel de sculptures connues, faisant de ce tableau son « musée imaginaire, une sorte de réserve où les œuvres se retrouvent en vrac pour raconter des choses à leur insu ». Pour la peintre, il s’agit de se référer aux œuvres d’art connues et partagées afin de « proposer des récits nouveaux » et tenter de « s’y retrouver un peu dans ce monde chaotique où nous perdons nos valeurs ». Perpétuer l’histoire de l’art, c’est proposer un rapport au monde, chercher des réponses et formuler des récits.
Les œuvres et les histoires s’ajoutent et s’emmêlent aux images qui s’inscrivent dans la rétine, qui hantent nos vies. À Nazanin Pouyandeh de se questionner : « Comment une image que l’on voit nous influence et nous construit, autant que le langage, autant que les choses relatives à la famille, autant que les choses culturelles ? ». Les images persistent dans nos êtres et fondent notre rapport au monde. Et c’est précisément ce rapport que les deux peintres transmettent, font apparaître dans leurs toiles, mêlant à la grande histoire, leurs intimités vécues. Les peintures naissent donc à la fois de références, d’œuvres préexistantes, d’images issues du quotidien ou des rêves ; elles surgissent de l’imagination et d’une certaine forme de méditation voire de « transe » de création, du fait même de peindre. C’est ainsi que les deux artistes racontent de nouvelles histoires, inventent chacune leurs poésies et transcendent une certaine forme d’humanité. Car c’est systématiquement, tant chez Brigitte Aubignac que chez Nazanin Pouyandeh, de notre condition d’être humain dont il s’agit.
Matière mystère
L’adolescence des garçons, les visages et mimiques communes des femmes lorsqu’elles se maquillent, les nuits d’insomnies, nos rencontres et relations avec les sculptures présentes dans les parcs, les jardins ou les musées… Brigitte Aubignac fonctionne par séries de peintures qui sont de véritables recherches autour de ses émotions et sentiments, qu’elle étudie et approfondit par sa pratique picturale. Pour elle, il s’agit en particulier de révéler « la lumière intérieure des gens », cette matière première, matière mystère. La peinture c’est l’âme révélée.
Dans les toiles de Nazanin Pouyandeh, les sujets sont souvent nus, leurs étoffes aux motifs finement représentés glissant sur un sein, une jambe. Là aussi, il s’agit d’âme, qui se donne à voir, d’après la peintre, une fois qu’on ôte toutes les couches, les filtres sociaux et sociétaux : « L’âme est plus complexe que les signes identitaires, de religion, de culture, etc. » La nudité est ainsi une référence à l’intimité la plus profonde qui soit. Elle est aussi mise en miroir à la peinture qui oblige, justement, « à se mettre à nu ». En effet, pour Nazanin Pouyandeh, qui peint souvent des miroirs, des peintures dans la peinture et des peintures en train d’être peintes, « peindre est la chose la plus intime qui soit ».
À la fois issues des rêves et des vécus, basculant entre intimité et universalité, proposant des histoires et des visions du monde, les œuvres sont pleines de contradictions, de tensions. Elles finissent par échapper aux artistes elles-mêmes. Des états, pensées et hypothèses d’autres y sont alors projetées. Les œuvres exposées deviennent à leur tour des images qui nous construisent. De manière autonomes, elles questionnent le réel, la notion même de réalité. Une fois présentées au regard et à la sensibilité d’autrui, les peintures se voient en quelques sortes libérées ; elles peuvent alors prendre des sens nouveaux. Nazanin Pouyandeh revendique d’ailleurs cette liberté dans son art, précisant sa volonté de « produire des images uniques et puissantes, aussi forte que des images de propagande, mais sans message politique, qui fonctionnent en tant qu’images libres ». Pour peindre, Brigitte Aubignac et Nazanin Pouyandeh ramènent toutes deux le monde à elles. Puis, dans un deuxième temps, elles donnent au monde des images nouvelles, libres, complexes, autonomes, qui vivent et communiquent entre elles, avec nous. •
Exposition “En regard”
Jusqu’au 2 mars 2025 at Musée Paul Valéry
148, rue François Desnoyer – 34200 Sète
museepaulvalery-sete.fr