À Marseille, le Frac Sud réunit plusieurs séries d’Éléonore False dans une rétrospective qui explore la polysémie et l’ambiguïté des images. Les formes y sont redécoupées, les trames agrandies et les motifs assemblés.
Glaner des images ou des fragments dans des livres, les découper ou les photocopier puis les disposer dans des pochettes transparentes constitue la première étape du travail d’Éléonore False (née en 1987), qui précède le déploiement de ces images dans l’espace. Appliquant ici son sens aigu du détail et de l’observation, l’artiste diplômée de l’ENSAAMA Olivier de Serres (2008) et des Beaux-Arts de Paris (2013) prend véritablement en compte le lieu, son architecture — signée Kengo Kuma — et ses spécificités telles que ces trappes de prises électriques au sol et la terrasse du Frac Sud, ouvrant sur un bosquet. Conviant la curiosité du spectateur, les œuvres s’appuient sur le site à partir duquel elles prennent malicieusement corps.
Corps, oui ; car c’est en particulier de gestes, qu’il s’agit. Le geste de l’artiste qui découpe, colle, tisse diverses matières, de différentes manières, usant de savoir-faire, techniques souvent invisibles — seul le collage d’images se laisse voir. Autre geste ; celui, commun et répété, des femmes censées reproduire patrons de couture ou schémas de fabrication de vêtements, comme ces quilts écossais qui montrent « comment bien faire », comment rester dans la copie conforme, faire ce qui est attendu, entrer dans le moule. L’artiste libère respectueusement ces carcans en en proposant des alternatives : « Je suis les consignes puis je m’en émancipe […] une tige-feuille devient un fragment d’aisselle… Les analogies se superposent. [Les œuvres] interrogent ce qu’on pense voir, ce qu’on pense savoir. », indique Éléonore False à propos de sa série « Mode & Travaux ». Elles déplacent les possibles, proposent des hypothèses et inventent des relations, convient à prendre du recul par rapport aux modèles, dans la vie et les livres — ceux-ci peuvent être des manuels mais aussi des échappatoires, les pages et les images se transposent en matière première à découper.
Des quilts aux lampes-tulipes, en passant par un fauteuil en osier et une douce « Poule » : on pourrait penser que l’artiste agence un véritable espace domestique. Pourtant, les abat-jours qui forment ces colonnes lumineuses sont aussi des corolles de fleurs, l’assise est réalisée à partir de végétaux, la poule est faite de fourrure et non de plumes. L’intérieur bascule vers l’extérieur puis vers l’irréel, les pièces appellent à s’échapper, à rêver. Ainsi, des images de vases sont redécoupées et agencées avec des visuels relatifs à la faune et la flore ; l’art décoratif est appuyé, littéral. Se faisant, les éléments domestiques se déplacent du côté du sauvage, comme ces vases-chenilles, transitant du foyer au fantastique.
On s’échappe, donc, et c’est toute la force des pièces d’Éléonore False qui sont profondément poétiques : elles créent de multiples possibles par des assemblages qui peuvent sembler simples tant ils sont réalisés avec sens et intuition, mais dont la force se laisse apprécier en prenant le temps d’observer, ressentir et multiplier les points de vues. On s’échappe, on s’émancipe ; des stéréotypes, des faits et gestes assignés à un genre, de ce qu’il faut faire, dire, penser. L’horizon s’ouvre sur d’autres possibilités, qu’on appréhende dans la lecture des œuvres, à leurs envers, ou par-derrière un mur de tulle, flottant et transparent.
Dans les métiers à tisser, l’ensemble de fils tendus forment la chaîne, supports invisibles à la trame. Comme dans cette métaphore filée, l’artiste imbrique les sens pour produire un nouveau motif, de nouvelles perspectives. Il s’agit aussi de déchaîner, de se libérer ce qui nous asservit, nous empêche. Et ce, sous le regard bienveillant de poupées (Harpa, 2024) suspendues au plafond et dont le regard immodérément maquillé prend une autre connotation par leur association avec des statues de pierres : s’échappant de leurs figures bridées, elles gagnent une part de mystère, une part d’éternité. •
Exposition « Éléonore False. Le Fil de chaîne »
Jusqu’au 31 août 2025 au Frac Sud – Cité de l’art contemporain
20, boulevard de Dunkerque – 13002 Paris
fracsud.org

Vue de l’exposition « Le Fil de chaîne » d’Éléonore False, Frac Sud, Marseille, 2025 © Éléonore False, Adagp Paris 2025. Photo : Marc Domage / Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille.

Vue de l’exposition « Le Fil de chaîne » d’Éléonore False, Frac Sud, Marseille, 2025 © Éléonore False, Adagp Paris 2025. Photo : Marc Domage / Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille.

Vue de l’exposition « Le Fil de chaîne » d’Éléonore False, Frac Sud, Marseille, 2025 © Éléonore False, Adagp Paris 2025. Photo : Marc Domage / Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille.

Éléonore False, Vase, fleur, 2022, série « Vases », collage, 30 × 20 cm © Éléonore False, Adagp Paris, 2024. Photo : Nicolas Brasseur.

Éléonore False, A Thread Line as a Guide, 2023, série «Quilts – The Right Interfacing », coton, fil, molleton, 117 × 137 cm. Production Fluxus Art Project – Magnetic Residency © Éléonore False, Adagp Paris 2024. Photo : Nicolas Brasseur.

Éléonore False, Poule, 2024, fourrure synthétique et verre, 19 × 19 × 19 cm © Éléonore False, Adagp Paris 2024. Photo : Nicolas Brasseur.

Éléonore False, Tulipe #1, 2024, verre, LED, plexiglas et métal, 40,5 × 20 × 20 cm © Éléonore False, Adagp Paris 2024. Production Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille. Photo : Nicolas Brasseur.

Éléonore False, Tulipe #2, 2024, verre, LED, plexiglas et métal, 65 × 20 × 20 cm © Éléonore False, Adagp Paris 2024. Production Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille. Photo : Nicolas Brasseur.