Dessiner, peindre, photographier, pour nouer des liens, tisser des drames, ou pourquoi pas détricoter les apparences. En avril, on tire tous les fils à travers ces expositions à ne pas manquer à Paris.
Ugo Sebastião chez Pal Project
Peinture bègue et barrée : chez Ugo Sébastião (né en 1998) le motif glisse, trébuche et recommence. L’artiste est de cette génération post-post (post-Internet et post-média) qui se repaît d’images dissoutes dans le flux d’un feed, qui sait que l’originalité n’est plus un horizon, mais un pli, à plisser encore. Iconographe, iconophile, iconophage à sa manière, Sébastião digère et rend corps à ce qu’il glane. En l’occurrence, le répertoire de la peinture baroque. Le geste revient par accident et rouvre la question du faire, à force d’épuiser les moyens (parfois l’IA génère un sixième doigt, ou bien des vers à bois grignotent un motif en surface) ; surtout, il met en scène la résistance, celle de l’objet tangible, son poids contre celui du monde, et celle du doute, qui soudain persiste autrement et s’insinue dans le vert d’une nuit glauque. Exposition « Ugo Sebastião. The Doubts » jusqu’au 26 avril 2025, chez Pal Project — 39, rue de Grenelle 75007 Paris — pal-project.com.

Vue de l’exposition « The Doubts » d’Ugo Sebastião, Pal Project, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Pal Project. Photo : Romain Darnaud.

Vue de l’exposition « The Doubts » d’Ugo Sebastião, Pal Project, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de Pal Project. Photo : Romain Darnaud.
Antoine Conde chez DS Galerie
Même génération 1990’s, mais pour Antoine Conde (né en 1997), c’est sur papier que l’image se couche et se rejoue. Sa première exposition personnelle à la DS Galerie « YOU LEFT A MARK ON MY SCREEN » rassemble une série inédite de (très) grands et (tout) petits formats, dans lesquels s’exprime un sens aigu de l’enchevêtrement. Grains d’épidermes, reflets liquides, des fonds qui fuient, des corps encore, ses œuvres empruntent essentiellement à la culture visuelle populaire, au cinéma, à la télévision, aux magazines, au porno gay. Parfois des mots, comme des poèmes ou des secrets. Deux écrans peau à peau. Sueur et velours du dessin. Pause. La main caresse, beau coup de crayon. Exposition « Antoine Conde. YOU LEFT A MARK ON MY SCREEN » jusqu’au 3 mai 2025, chez DS Galerie — 15, rue Béranger 75003 Paris — dsgalerie.com.

Vue de l’exposition « YOU LEFT A MARK ON MY SCREEN » d’Antoine Conde, DS Galerie, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de DS Galerie. Photo : Romain Darnaud.

Antoine Conde, STOP ENTERTAINING MEDIOCRITY, 2025, crayon graphite sur papier Arche, encadrement acier, bordé plomb, 112 × 152 cm. Courtesy de l’artiste et de DS Galerie. Photo : Romain Darnaud.
Troy Makaza à la Galerie Poggi
Sculpture ? Peinture ? Textile ? Ici, le médium prend la tangente, il est tout cela à la fois, et surtout autre chose. Originaire d’Harare, Troy Makaza (né en 1994) tresse et noue les fragments de l’histoire — la grande et la sienne — comme il tresse et noue la matière plastique. Ses grands assemblages mous, sortes de cartes étranges, décrivent un Zimbabwe tiraillé entre les flux de la mondialisation et les assignations locales. De la cuisine au symbolisme populaire, de l’histoire des arts au commentaire philosophique, les références s’entremêlent et s’hybrident avec une franche liberté de formes. Rien de froidement conceptuel : c’est vif, sensuel, viscéral. Et sous les couleurs acidulées, c’est toute la richesse d’une culture métissée qui affleure. Exposition « Troy Makaza. Gutsa ruzhinji » jusqu’au 26 avril 2025, à la Galerie Poggi — 135, rue Saint-Martin 75004 Paris — galeriepoggi.com.

Vue de l’exposition « Gutsa ruzhinji » de Troy Makaza, Galerie Poggi, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Poggi. ©.kit.

Troy Makaza, Tsika mutanda (witch hunter) (détail), 2025, silicone infusé avec des pigments, 155 × 134 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Poggi. ©.kit.
« Love Hotel » à la Galerie du jour agnès b.
Deuxième escale à la galerie du jour agnès b. pour le photographe François Prost (né en 1980) avec son projet « Love Hotel ». Réalisé en 2023 lors d’un voyage entre Tokyo et l’île de Shikoku, ce road trip érotico-sociologique donne à voir l’étonnante variété formelle de ces établissements, construits pour héberger les ébats des amants. Derrière les façades rigolotes, se cachent bien des soupirs des histoires pour une heure ou des rêves pour une nuit. L’amour a ses parkings et ses châteaux de paille, reflets d’un mode de vie où il faut négocier sans cesse avec le manque d’intimité et la pression sociale. Désir béton mais sans fenêtres, au bord des routes. Exposition « François Prost. Love Hotel » jusqu’au 18 mai 2025, à la Galerie du jour agnès b. — place Jean-Michel Basquiat 75013 Paris — la-fab.com.

François Prost, HOTEL CASTLE, Oamishirasato (Nara Prefecture), 2023. © François Prost.

François Prost, SEASTORK HOTEL, Machida (Tokyo prefecture), 2023. © François Prost.
« Les refuges contraires » à la Galerie C
Jolie danse à cinq pour la Galerie C qui amorce une tout autre réflexion sur l’intimité et les lieux que nous habitons, mais aussi sur les tensions entre paysages urbains et environnements naturels. Orées et seuils, reflets furtifs, le monde au creux d’une main, le doute dans une ombre qui passe, l’exposition accueille autant qu’elle cueille. Des bribes et des souvenirs, des gestes, des images. Une conversation de peintres, à propos de la peinture, avec les œuvres de Damien Cadio (né en 1975), Solène Rigou (née en 1996), Gongmo Zhou (né en 1996), Léopold Rabus (né en 1977) et Till Rabus (né en 1975). Exposition « Les refuges contraires » jusqu’au 26 avril 2025, à la Galerie C — 6, rue Chapon 75003 Paris — galeriec.ch.

Vue de l’exposition « Les refuges contraires », Galerie C, Paris, 2025. Courtesy des artistes et de la Galerie C. Photo : Aurélien Mole.

Till Rabus, Jouets pour chien 3, 2025, huile sur toile, 25 × 31 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie C.
« Studio Conversations » chez David Zwirner
Il est encore ici question de dialogues, mais cette fois trois duos, orchestrés par la commissaire Anaël Pigeat. Christine Safa (née en 1994) et Suzan Frecon (née en 1941) y parlent pigments, géométries sacrées et couleurs archaïques. Plus loin, Nino Kapanadze (né en 1990) répond à Mamma Andersson (née en 1962) pour tisser un langage de formes simples et de paysages intérieurs mystérieux. Et puis, il y a la partie de ping-pong visuel entre Jean Claracq (né en 1991) et Marcel Dzama (né en 1974) : rêves en costumes et voyages sur la lune, les sujets se répondent, se relancent ou dérapent, jusqu’à s’infiltrer mutuellement. L’exposition rebondit d’affinités en échos fortuits, pour une réjouissante histoire d’échange et de transmission. Exposition « Studio Conversations » jusqu’au 24 mai 2025, chez David Zwirner — 108, rue Vieille du temple 75003 Paris — davidzwirner.com.

Vue de l’exposition « Studio Conversations », David Zwirner, Paris, 2025. Courtesy des artistes et de la David Zwirner.

Mamma Andersson, Modern / The Mother, 2021, huile et acrylique sur toile, 105 × 80 cm. Courtesy de l’artiste et de David Zwirner.