Inaugurée en novembre dernier, la jeune galerie Prima continue sa mue et offre depuis plus de six mois de belles découvertes. La dernière en date : la première exposition en France consacrée à l’artiste polonaise Helena Minginowicz (née en 1984) présentée ce printemps à Art Brussels.
Disons le tout de suite : tout visiteur est traversé par une impression d’étrangeté, une sensation de familiarité teintée d’une forme d’embarras. C’est qu’on est happé par la puissance évocatrice des scènes dépeintes. Des corps, des pubis, des aisselles s’y dévoilent. Des lèvres sont entrouvertes (It’s not working anymore, 2024) en une expression d’extase à la manière de la Sainte-Thérèse (1647–1652) du Bernin. Des bouches se lèchent (Hunger, 2023). Des seins et le début d’un bas de ventre s’imposent au regard (Loser, 2023). Ailleurs, deux mains tendent, du bout des doigts, ce qui s’apparente à un masque de beauté (Beauty Mask, 2024) sur lequel se distingue une mise à mort d’une biche par deux chiens de chasse comme la représentation symbolique de la prédation masculine. Difficile de ne pas penser à la gestuelle, en tout point identique, de Sainte Véronique tenant, pour relique, un voile sur lequel lui était apparu le visage du Christ. Christ qui surgit d’ailleurs, un peu plus loin, dans la moiteur d’une aisselle (Personal Jesus, 2024). Sur le mur du fond, trône en pièce maîtresse Sleeping Alone (2025). Un renflement, sous une couverture dont les plis forment un visage, évoque La Lamentation du Christ mort (vers 1480) de Mantegna. La silhouette ensommeillée ou inerte est vue par le prisme d’une même perspective.
Dans les courbes et contre-courbes de poils ou de cheveux, on devine la forme imaginée d’animaux. Souvent, des figures apparaissent là où on ne les attend pas : dans la rondeur d’un genou, la tête d’un insecte ou d’un pigeon comme un sourire malicieux venu de l’enfance. Au-delà de leur esthétique soignée, les tableaux disent quelque chose de la violence du monde. Des chevaux pleurent et fuient l’issue tragique à laquelle on les destine. Des chatons miaulent entassés dans un sac plastique. Souvent, le premier plan semble parfaitement net lorsque le second, composé de tons bleus, verts, gris ou blancs, nimbe dans le flou. Pour un tondo présenté à l’entrée, une proximité avec un visage féminin (vraisemblablement celui de l’artiste) a été permise par la déformation du fisheye. Une précision du regard photographique transposée sur toile au moyen de l’aérographe et de l’acrylique.
Il est tentant, pour ne pas dire délicieux, de plonger dans les détails de doigts aux cuticules rongées, aux ongles violacés (Always with me, 2024). Ces mains, dont la peau, déjà, disparaît dans une sorte de sfumato, posées sur un drap en une position de prière. Et puis, il y a ce jeu sur les motifs désuets et réconfortants de chats, de chiens, de fleurs. Et toujours, cette allusion au corps. Au corps physique (peau, ongles, poils) mais aussi aux viscères, aux entrailles figurées dans les pétales d’une rose.
Diplômée en 2011 de la faculté d’Architecture et de Design de l’Université des Arts de Poznań, Helena Minginowicz s’est attachée à désapprendre tout ce qui lui avait été transmis pour se distancier de l’héritage pictural classique. Mais elle reste, néanmoins, très imprégnée par les maîtres de la Renaissance. Et puise volontiers dans la culture pop, dans les images produites par la société de consommation (allées de supermarché), mais aussi l’esthétique kitsch des années 1990 (chatons mièvres et teintes acidulées). L’artiste livre tout à la fois une réflexion sur la marge, les paradoxes de la modernité, la portée affective des objets du quotidien insignifiant et banal, les corps qui se désirent, la présence invisible du spirituel. Une œuvre protéiforme à la jonction du classicisme et du contemporain, de l’intime et de l’extériorité, du sacré et du charnel. •
Exposition « Helena Minginowicz. Wounds and Wonders »
Jusqu’au 21 juin 2025 à la Galerie Prima
13, rue Notre Dame de Nazareth – 75003 Paris
galerieprima.com

Vue de l’exposition « Wounds and Wonders » d’Helena Minginowicz, Galerie Prima, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele.

Helena Minginowicz, Something beautiful, 2024, acrylique sur toile, 70 x 70 cm. Courtesy de l’artiste et de Galerie Prima.

Helena Minginowicz, Uncool, 2024, acrylique sur toile, 30 × 30 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Prima.

Helena Minginowicz, All the white horses, 2024, acrylique sur toile, 100 × 100 cm. Courtesy de l’artiste et de Galerie Prima.

Vue de l’exposition « Wounds and Wonders » d’Helena Minginowicz, Galerie Prima, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele.

Helena Minginowicz, Sleeping Alone, 2025, acrylique sur toile, 150 × 150 cm. Courtesy de l’artiste et de Galerie Prima.

Helena Minginowicz, Off!, 2024, acrylique sur toile, 70 × 70 cm. Courtesy de l’artiste et de Galerie Prima.

Vue de l’exposition « Wounds and Wonders » d’Helena Minginowicz, Galerie Prima, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele.