Par Camille Tallent
FOCUS // La série Imago de la photographe polonaise Zuza Krajewska nous plonge au cœur de la psyché des résidents d’un centre de détention pour jeunes délinquants à Studzieniec, un village en marge de Varsovie.
Pendant plusieurs mois, Zuza Krajewska a apprivoisé puis saisit le quotidien d’une quarantaine d’adolescents enfermés parce qu’ils ont commis un délit — du simple vol au crime plus sérieux. Chacun porte une histoire dont le niveau de tragédie est différent. Un passé toujours violent que Zuza Krajewska a glacé en constituant une série de portraits et de scènes de vie qu’elle a justement nommé Imago.
Ce nom, qui renvoie à l’entomologie, désigne le stade final de la métamorphose d’un insecte. Une phase qui se traduit chez ce dernier par différents changements physiques. L’artiste se sert du mécanisme de ce fonctionnement pour construire un parallèle entre le processus de développement de la vie animale et la complexité de l’adolescence chez l’être humain. Au seuil de la vie adulte, cette mutation surgit aussi dans la représentation de soi, et c’est également ici que la justesse de Zuza Krajewska transparait dans sa capacité à avoir mis le mot juste sur son travail.
À Studzieniec, elle donne une dimension aussi sociale que poétique à un travail d’une maturité délicate. Malgré un décor d’internat carcéral lugubre, Zuza Krajewska développe avec cette série le portrait d’une jeunesse abandonnée à qui elle rend sa force et son individualité, au-delà de tout a priori. Les images de Krajewska constituent ensemble un lexique subtile de l’emprisonnement : une violence latente et passive qui façonne les visages déjà marqués de ces jeunes adultes. Les portraits de ces hommes tondus sont frontaux mais derrière cette apparente brutalité, la photographe dévoile une sensibilité et une profondeur que même ses acteurs auraient du mal à décrire. En dépit de poses figées — presque bibliques — qui nous font ressentir la présence de la photographe autour de ses sujets, elle réussie à faire oublier sa compagnie dans les scènes du quotidien qu’elle capture.
Si certains portraits individuels nous introduisent dans des moments d’introspection, Zuzu Krajewska offre des instants de vie collective, aussi bien de recueillement que d’euphorie. Imago raconte l’histoire de ces adultes en puissance avec une sincérité débordante. En plongeant dans leur intimité contrôlée, Zuza Krajewska nous lie à un regard sur les vies — en transit — de ces jeunes en reconstruction. Une expérience photographique qui participe, peut-être aussi, à leur réalisation identitaire. //
Zuza Krajewska
www.zuzakrajewska.com