Propos recueillis par Maxime Gasnier
INTERVIEW // De Diane Arbus à la littérature, les inspirations de Kourtney Roy fondent l’essence même de son œuvre. Principale modèle de ses clichés, la photographe canadienne associe cinématographie du portrait et dispositif romanesque, sans pour autant s’isoler dans la narration. Dans ses images, c’est la valeur introspective qui prime.
- Il y a souvent une forme de négation identitaire dans vos portraits, exposée par l’attitude et le comportement des sujets. Visages cachés, dos tournés, corps parasités… Comment justifiez-vous ce choix ?
La plupart de mes travaux sont des autoportraits. D’une certaine manière, c’est un jeu entre l’absence et la présence de moi-même qui me permet de tenir différents rôles et d’interpréter divers personnages. Il y a une sorte d’anonymat qui survient en dissimulant l’identité du modèle. Cela crée une situation ambiguë où le mystère propose en même temps de se projeter aisément à travers une figure inconnue.
- Le travestissement révèle-t-il donc un certain fantasme d’être quelqu’un d’autre ?
C’est davantage donner vie à ses secrets intérieurs, créer des univers parallèles auxquels je pense et leur donner vie. Je ne pense pas que, même dans la réalité, il n’existe qu’une seule identité par sujet ; nous sommes plus complexes et plus multidimensionnels qu’il n’y paraît. La photographie permet justement de manifester ces différentes parties cachées…
- De quelle manière l’esthétique cinématographique s’affirme-t-elle dans votre travail ?
L’«arrêt sur image» est définitivement une influence majeure dans mon travail. Je suis fascinée par la contradiction d’une image pouvant être à la fois en mouvement et figée. La définition d’un cadre en particulier autorise une action plus large pour différentes formes de contemplation iconographique que ce que l’on peut remarquer lorsque l’on regarde la même scène en réalité. Il réside aussi une ambiguité anecdotique qui prend naissance lorsqu’une image est est sortie de son contexte ; la narration devient indéfinie et un nombre infini de scénarios est possible. J’essaye d’aborder l’image en faisant comme si le monde avait le pouvoir secret de se changer en film à tout moment. Cela ajoute tension et une narration incertaine à mon travail.
- De quelle valeur dispose l’aspect narratif dans vos photographies ?
Je ne construis pas mon travail en pensant qu’il traite de « photographie narrative ». J’essaye toujours de penser l’image comme un cadre à l’intérieur d’un autre plus grand, quelque chose d’infini, où tous les éléments peuvent être théoriquement connectés. L’image devient alors le fragment d’une histoire plus grande. Une histoire instinctive et ouverte.
- Des références qui vous inspirent ?
Il y a plein d’artistes auxquels je pense, à commencer par Sally Mann pour les portraits intimes et préoccupants de ses enfants. Mais aussi le travail aussi étrange que fascinant de Diane Arbus ou des précurseurs coloristes comme Shore, Eggleston et Sternfeld. […] Je lis également beaucoup et trouve l’inspiration chez les écrivains du Southern Gothic tels que Flannery O’Conner, Carson McCullers, Cormac McCarthy, Barry Hannah et Marilyn Robinson, puis quelques autres comme Raymond Carver et Alice Munro… //
Kourtney Roy
www.kourtneyroy.com