Par Henri Guette
EXPOSITION // Surtout connue sur internet et les réseaux sociaux où elle œuvre avec succès, Molly Soda revient pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Annka Kultys, à Londres. Avec Me and my gurls, elle explore les interactions numériques d’une bande de filles et joue de nos formes de sociabilité contemporaine.
Un rouleau défile jusqu’à nos pieds : plus de quinze mètres de commentaires en tous genres reproduits sur papier. Molly Soda a trouvé un moyen simple de manifester l’impact de ses activités en ligne, en l’occurrence, les réactions suite à la vidéo Shimmery Blue Eyeshadow Tutorial 1 postée sur Youtube où elle reprend le concept du tutoriel beauté. Le support papier, ou plus loin les tirages photographiques, deviennent autant de documents d’archives ou de pièces à convictions de ces interactions. Abonnés, likes ou commentaires : tout est fait sur les plateformes numériques pour mesurer et monétiser la popularité. Molly Soda, artiste tout autant qu’influenceuse — pour reprendre le terme marketing dédié —, s’en amuse et révèle les mécaniques numériques à la manière d’une archéologue. L’exposition ne rejoue pas l’œuvre qui se développe en ligne mais l’étend, en fait le prolongement par une habile mise en scène.
Des ballons au sol, comme une fête encore inachevée, reprennent des commentaires associés à des pseudonymes. Molly Soda a grandi à l’ère digitale ; habituée aussi bien aux tags qu’aux algorithmes, elle fait partie d’une communauté. Ce qu’elle montre, ce sont en effet d’autres filles qui la suivent ou l’inspirent. Girls blowing balloons ; des filles soufflent en effet des ballons de baudruche sur Youtube à la manière d’un phénomène viral. C’est un univers en circuit ouvert qui s’auto-alimente avec ses commandements, ses références et son exégèse. L’artiste ne fait pas abstraction, dans l’espace de la galerie, du contexte web dans lequel naît ses œuvres mais elle le met en abyme. Elle ne mime pas une interactivité qui serait parodique dans ce contexte mais l’interroge en la montrant dans ce qu’elle a de plus réel.
En s’investissant pleinement sur Youtube, Instagram et Facebook, en s’engageant aussi bien personnellement que socialement, l’artiste se place dans une démarche globale. Elle met son identité en jeu pour mieux remettre les attendus de genre en cause et engager une réflexion sur le corps féminin. Toute la fabrique de Molly Soda tient dans sa chambre, par l’ordinateur, le téléphone, la caméra. C’est un mouvement intérieur que nous montre bien les captures d’écran qui donne à voir le bureau, les retouches et le montage. Vers plus de transparence, l’artiste joue du maquillage pour résister aux injonctions, réagir contre ceux qui voudrait la mettre dans une case. Elle apparaît dans la vidéo #Newprofilepic au milieu de gifs de strip-teaseuse qu’elle compare à des fleurs sur le point d’éclore. Un instant précieux, elle même continue de pousser.
En parallèle, les nombreux écrans de téléphones, de tablettes et de télévisions attirent l’œil et nous observent en même temps. Qui sommes-nous de ce côté ? Dans une vidéo-chorale presque en conclusion, Me Singing Stay By Rihanna, une dizaine de jeunes filles et l’artiste portoricaine au centre reprennent une chanson de la pop star américaine, chacune depuis leur ordinateur. Seule et avec les autres, Molly Soda expose ces paradoxes avec humour. //
Exposition Me and my gurls by Molly Soda
Jusqu’au 16 juin 2018 at Ankka Kultys Gallery
472 Hackney Road E29EQ Londres
www.annkakultys.com