Photo © Michaël Roy
INTERVIEW // Orgasmes, souffrances, révoltes : le plasticien Michaël Roy (né en 1973, La Rochelle) investit la galerie parisienne Alain Gutharc à l’occasion d’une exposition personnelle orientée vers la figure masculine. Par le cyanotype et la photographie en noir et blanc, il s’approprie ainsi des portraits d’hommes pour composer un ensemble de visages aux états pluriels, de l’extase à la transe.
- Comment travailles-tu la photographie ?
Michaël Roy : Je préfère parler de fabrication d’images lorsqu’on m’interroge sur ma pratique. Je récolte, accumule, archive et classe des images et des textes déjà existants. Il s’agit d’emprunts qui composent ensuite des albums ou des classeurs, desquels se dégagent un propos que je redonne à voir, à lire, par le biais du dessin ou du collage, de la vidéo et bien entendu de la photographie. La photo — de pub, mode, presse, porno, artistique… — constitue ma principale source. Donc finalement, ma « photographie » est une sorte de retour à l’envoyeur et au voyeur.
- Chez Alain Gutharc, tu présentes deux collections d’images qui se font écho : un ensemble en noir et blanc fonctionnant comme une installation puis une série de cyanotypes. Peux-tu expliquer ce concept ?
Michaël Roy : Il s’agit d’un ensemble d’images que j’ai traité jusqu’à épuisement. La résistance et la pertinence des images sont questionnées par cet assemblage de 400 photographies (issues d’images de magazines, d’Internet, de films, de musées…) recadrées, neutralisées par le passage en noir et blanc et leur format identique standard. Leur point commun : des figures d’extase ou de transe. Elles témoignent d’une souffrance, d’un orgasme, d’une révolte, d’une victoire, la colère… Mises à plat, punaisées et agglomérées, elles composent une seule et unique représentation de la figure masculine. De cet ensemble, j’ai extrait cinquante photos et réalisé cette série de cyanotypes, alignés sur tous les murs de la galerie et cette fois-ci de manière isolée, chaque cyanotype est autonome. Une même image, par ces différentes manipulations — photocopier, numériser, recadrer, ré-encrer, re-photographier — et présentations, sera lue différemment.
- Ce n’est pas la première fois que tu travailles le cyanotype. En quoi ce médium t’intéresse-t-il ?
Michaël Roy : Le cyanotype m’a permis, depuis plusieurs années, de fabriquer des photographies tout en étant libéré de la technologie, de la haute définition ou de l’hyper résolution. Ce procédé a été mis au point dès la moitié du XIXe siècle. Il permet la production de photo sans appareil photo. Je réalise mes vidéos généralement sans caméra également. L’emprunt d’éléments déjà existants et l’affranchissement de la haute technologie offre la liberté de produire avec une économie faible, ce qui est pour moi une contrainte essentielle et stimulante. Le procédé du cyanotique a quelque chose d’artisanal et de difficile à maîtriser, l’exposition aux rayons UV, par exemple, reste toujours aléatoire mais provoque parfois des accidents ou des déperditions sur l’image et donc la restitue autrement. Il ne subsiste qu’un fantôme de l’image d’origine.
- Pourquoi avoir choisi comme titre d’exposition « Boys Don’t Cry » alors que celui-ci s’impose comme antithèse de ce qui est montré dans tes images ?
Michaël Roy : Les titres de mes expositions sont empruntés à des titres de chansons. Ces appropriations sont sobres et caractéristiques de ma manière de travailler. Le titre est juste une déclaration, parfois frauduleuse.
- La figure masculine est récurrente dans ton travail. Quelles valeurs, esthétiques et symboliques, perçois-tu en elle ?
Michaël Roy : Je crois surtout que la figure masculine est récurrente dans notre culture. Dans cette exposition, cette accumulation d’images de figures victorieuses, souffrantes, révoltées, démontrent bien qu’elles sont principalement incarnées par des hommes dans les médias. Mais la figure féminine est aussi présente dans mon travail, tout particulièrement dans ma série de cyanotypes de plus grand formats réalisée à partir de 2012, ou encore dans mes peintures au vernis à ongles. Le corps, je crois, disparait peu à peu du champ de l’art. Le porno se charge puissamment de le représenter. Les figures masculine et féminine, dans des rôles très différents, y trouvent un équilibre. C’est le seul domaine de production d’images qui laisse la place à tous les genres contrairement aux autres canaux de diffusion d’images. Je n’accorde pas de valeur symbolique à mon travail, cela m’évoque l’idée d’exemplarité que je rejette complètement. J’aime le flou, les brèches sous les supports glacés qu’on nous propose. //
Exposition « Boys Don’t Cry » by Michaël Roy
Jusqu’au 22 février 2020 at galerie Alain Gutharc
7 rue Saint-Claude 75003 Paris
www.alaingutharc.com