Par Laëtitia Toulout
EXPOSITION // À l’heure où l’introspection physique comme mentale est plus que jamais d’actualité, l’artiste italien Jonathan Vivacqua dresse sa vision ironique du travail, de l’effort, de la société. À Rome, la galerie White Noise lui consacre une exposition, pensée comme un parcours fatal.
À nouvelle situation, nouveau terme qui élargit et actualise le champ du langage ; ces derniers temps ont ainsi vu la médiatisation du terme « bullshits jobs », théorisé par l’anthropologue militant américain David Graeber afin d’illustrer la sensation d’inutilité sociale vécue dans certains corps de métiers, eux-mêmes nés d’une société qui élargit la diversité des missions bien au-delà des besoins. Pire que cela, une tâche futile en entraîne une autre, comme des dominos qui tombent les uns sur les autres dans une course qui s’accélère, ou un serpent qui s’engloutit lui-même en se mordant la queue. Dans une hypocrisie qui nous dépasse, il est difficile de sortir de ces missions en carton qui maintiennent une société dans laquelle la productivité est prônée avant toute chose, avant toute logique, avant l’essence même de la vie. Cette perte de sens dans le travail marque une souffrance que l’on voit de plus en plus s’afficher dans les discours, en particulier dans le contexte quelque peu angoissant de la crise sanitaire mondiale et des mesures qui s’en suivent, amenant une grande part de la population à questionner ses modes de vie, voire, le fonctionnement de la société tout entière.
C’est dans ce contexte que Jonathan Vivacqua (né à Côme en 1986) grave l’entrée de son exposition éponyme par les mots Lavoro Inutile ; une « tâche inutile » comme un fil conducteur reliant les œuvres qui prennent forme dans un environnement aseptisé ; une mise en scène léchée sur moquette bleu roi. L’artiste paraît questionner : que pouvons-faire de notre temps ? Et s’il le fait, c’est dans une approche anti-productiviste qui frôle une triste ironie – un rire qui s’étrangle dans la gorge. Finalement, on se rend compte que la question serait plutôt : que pouvons-nous ne pas faire ? Et si nous pouvions le faire, pourquoi le ferions-nous ? Souvenons-nous, les dominos qui s’entraînent dans leur chute et le serpent qui se mord la queue…
Alors, on se retrouve face à l’impossibilité de soulever un poids, qui, immense et fait de béton, s’avère bien trop lourd pour un humain normalement constitué et se destitue alors de sa mission initiale, à savoir la musculation. You are a fucking bodybuilder ; ou pas, en l’occurrence. À défaut de sculpter son corps avec un poids, l’artiste sculpte la matière et crée l’objet. Il enfonce le clou ou plutôt, annule les possibilités utilitaires de celui-ci en appuyant sa particularité même, à savoir la charge physique. En résulte, un poids trop lourd, finalement condamné à rester au sol.
Après avoir fait le tour de ce qui est donc une sculpture, nous pouvons nous plonger dans ce qui pourrait être des paysages minimalistes car épurés de tous détails : grandes prairies verdoyantes, ciel bleu… Ces Panoramas puisque c’est leur titre, finissent par nous renvoyer à nos propres vides intérieurs ; la méditation tourne en rond. En écho, une plante en pot rappelle davantage les intérieurs des bureaux que les sensations de la nature. L’essence même des choses est brouillée. La boucle se renferme au sous-sol de la galerie. Si malaise il y a, celui-ci s’accentue alors, car le travail, au sens physique et presque premier du terme a tout l’air d’être présent, ici et maintenant. Pelles et mottes de terre alignées paraissent attendre d’être activées par des mains fortes. Dans quel but ? Sûrement aucun, ou peut-être si : celui d’inviter à s’extraire du monde pour en porter réflexion ; le propre, en somme, de l’œuvre d’art. //
Exposition LAVORO INUTILE by Jonathan Vivacqua
at White Noise Gallery
Via della Seggiola 9, Rome
www.whitenoisegallery.it