Quand le temps s’effondre avec Nicolás Lamas

Pauline Lisowski |

25.06.2021 |

ART CONTEMPORAIN / EXPOSITIONS

Des interactions entre matières vivantes, objets recyclés et artefacts : le plasticien Nicolás Lamas impose une série de pièces inédites au CCC OD (Centre de création contemporaine Olivier Debré), à Tours.

Nicolás Lamas (né en 1980 à Lima, Pérou) a une carte blanche pour investir la Nef du CCC OD de Tours et a pris le temps d’organiser un espace de relations entre des objets, des matières organiques et d’autres items industriels qui peuvent ensemble recomposer une entité en mouvement. Sensible aux sciences naturelles et aux formes de vie, l’artiste péruvien mène un travail artistique pour lequel il se donne des principes de collectes, de réemploi, redonnant vie aux éléments qu’il récupère. Il crée un ensemble d’œuvres associant objets et matériaux de différentes temporalités et espaces géographiques lointains de notre époque contemporaine dite anthropocène. Il reconstitue des formes d’interaction et de contamination, de vie dans ses œuvres dont certaines se disséminent dans les recoins du centre d’art, telles des particules qui s’échappent. L’espace de la grande Nef devient lieu d’associations entre des substances issues de diverses périodes et des sculptures qu’il repense et réagence entre elles. « J’active un système de pensée à travers les pièces que je produis. Je vois mon travail en général comme des dialogues continus, comme des échanges d’énergie et d’informations en flux constant, opérant sous de multiples couches de références aux niveaux épistémologique et ontologique, posant une série de problèmes qui vont au-delà du langage. », précise Nicolás Lamas. Pour lui, son exposition “Times in Collapse” est conçue comme un grand organisme où diverses connexions sont possibles.

L’artiste revisite les codes du cabinet de curiosités et de muséographie spécialisée en histoire naturelle, en présentant à différents niveaux ses assemblages d’objets de la vie courante, mobiliers et matériels techniques tout en laissant la nature reprendre ses droits. « Les objets portent une histoire d’origine, de déplacement et d’interaction avec d’autres agents matériels tout au long de leur existence. Ils ne sont pas seulement ce que nous reconnaissons et nommons, mais ils sont aussi des entités matérielles, des agents dotés de propriétés physiques telles que la forme, le poids, la consistance, la température, la composition chimique, l’échelle, la résistance, la temporalité, etc. », explique-t-il. Par endroit, des abeilles apparaissent telles des présages d’une biodiversité fragilisée, à préserver. Une carcasse de voiture semble échouée dans un marais reconstitué. Est-ce la nature qui a provoqué une apocalypse emprisonnant ce véhicule ou est-ce cet engin qui a pollué ce milieu, qui tente de croître ? Telles sont les questions qui émergent face à cette installation. Des dés sont également récurrents dans le réseau d’éléments, signes des modes de vie du consommateur. Ils symbolisent l’aléatoire, le hasard, la possibilité qu’à un moment donné tout peut basculer. Une vie s’est installée au fur et à mesure ; des micro-organismes et des plantes sont apparues au milieu d’une scène de catastrophe. Nicolás Lamas ne fait pas de distinction radicale entre les processus vivants et non vivants. Il explique : « Les objets ne sont pas seulement ce que nous pensons qu’ils sont. Ce ne sont pas seulement des éléments passifs qui remplissent une fonction spécifique pendant un temps donné, mais ce sont aussi des entités actives qui affectent les contextes et la vie d’autres êtres, en réalisant des processus dynamiques très complexes tandis qu’ils se transforment et se diffusent dans le monde ».

Des images d’intérieur de corps humain ponctuent l’exposition, dense en éléments disparates qui semblent se nourrir les uns des autres. L’artiste nous invite à réfléchir à la fugacité de la vie et aux prothèses qu’on crée pour soigner le corps. L’homme apparait démuni, n’ayant pas tant de pouvoir sur la nature. Même s’il tente de la maîtriser, celle-ci continue de reprendre ses droits sur notre frénésie d’achats… Les œuvres tissent entre elles un milieu à la croisée d’objets technologiques, de nature et d’artefacts. Nicolás Lamas ajoute à son musée entre sciences et objets populaires, des modes d’emploi de construction qui rappellent ceux qui nous permettent d’assembler des meubles. Il se positionne ici comme un artiste-archéologue du temps présent et met en évidence l’évolution de notre société marquée par la frénésie de construction et l’invention des techniques qui bouleversent notre écosystème. Il précise : « Je m’intéresse aux relations symbiotiques entre des matériaux hétérogènes. Quand ils deviennent des assemblages, ils deviennent autre chose, ils perdent mais gagnent aussi d’autres propriétés. » Une colonne est composée de livres et de strates de marbre, semblable à une carotte géologique, témoin de l’évolution des sols. L’espace de la grande salle du CCC OD est ainsi utilisée dans sa hauteur et chaque élément semble être raccordé pour composer une structure. Nicolas Lamás nous invite à nous interroger sur l’influence du passé sur le présent et sur notre société à venir. Les temporalités s’interpénètrent dans ses sculptures et associations de matière. Il nous parle à la fois de l’humain et des êtres vivants non-humains tout en nous incitant à observer le vivant. Son exposition se découvre alors tel un espace où des matières et objets de la Préhistoire jusqu’à nos jours s’interpénètrent pour donner naissance à de nouvelles formes de vie. •

Exposition “Times in Collapse” by Nicolás Lamas
Jusqu’au 29 août 2021 at CCC OD
Jardin François 1er, 37000 Tours
cccod.fr