Appartenant jusqu’alors au vocabulaire cosmétique, le contouring déborde désormais de ses limites faciales et investit le design, la mode ou encore l’édition.
Tendance « make up » démocratisée, le contouring désigne une technique cosmétique permettant de sculpter son visage, en redéfinissant son relief et en mettant l’accent sur des zones bien définies : arête du nez, pourtour des lèvres, lignes des paupières… Dans la continuité de cet effet de valorisation esthétique et appliquant un principe similaire, la création contemporaine, tous domaines confondus, s’approprie ce concept à travers diverses expressions.
EXAGÉRER LA SILHOUETTE
Dans la mode d’abord, où le contouring opère une signature à même l’objet, de façon à amplifier sa silhouette tout en participant à son parti-pris matériel : chez JW Anderson, les Bumper Bags de la collection Spring / Summer 22 renforcent leur identité minimaliste au moyen de bourrelets colorés différant de leur surface, conjuguant ainsi une palette pop et une plastique clownesque, à la manière d’un assemblage de ballons de baudruche. De son côté, le créateur londonien Benny Andallo, passé par la Central Saint Martins, élargit lui aussi les contours traditionnels du chapeau en modélisant son volume par le biais de fausse fourrure. La technique employée renforce ainsi l’aspect théâtral de son Bell Bucket Hat With Red Fluffy Trim (2019), en parcellisant l’accessoire de manière visible et équitable. Dans la même veine, la nouvelle boutique parisienne MODES incarne le contouring dans sa scénographie retail signée Gonzalez Haase (AAS). Le studio d’architecture allemand use ici de lignes bleu ciel — signature chromatique du lieu — pour mettre en exergue l’épaisseur du mobilier en verre servant de support d’exposition des produits. Celui-ci semble alors flotter dans l’air et signaler, par ses contours immanquables, l’inscription de la transparence des étagères dans l’espace du concept-store.
ATTIRER L’ATTENTION
Dès lors, on reconnaît au contouring un rôle similaire à celui du cadre traditionnel. Comme pour une œuvre d’art, encadrer ou encercler la silhouette d’une pièce permet de mettre l’accent sur celle-ci — c’est un marqueur de limites, on regarde ce qui est en son centre, ce qui n’en dépasse pas. C’est ce dont Les Graphiquants usent pour le carton d’invitation réalisé pour la maison Diptyque à l’occasion de son exposition “Voyages Immobiles” : une couleur définit chaque tranche de l’objet d’édition, comme pour recadrer l’attention sur le message principal de l’événement. Mais le contouring est aussi un élément autonome, à part entière, qui, même s’il est lié à son contenu, peut fonctionner seul esthétiquement parlant, en se démarquant par sa couleur ou sa matière. C’est ce que nous fait comprendre le plasticien Tim Plamper qui, au sein de la galerie viennoise Unttld Contemporary, en 2019, brisait la monochromie du white cube aseptisé en dressant au milieu des murs une ligne de cadres violets pour repositionner les yeux du regardeur. À sa manière aussi, l’artiste australien Brook Andrew met en lumière les contours de ses œuvres murales au moyen de néons, pour attirer l’attention sur des pièces d’archives oubliées et ainsi raviver des fragments d’histoire. Dans son travail, le contouring, participe activement aux narrations alternatives qu’il développe et s’affirme comme un outil impactant au service de mises en scène ludiques.
STRUCTURER L’OBJET
Le design aussi, par définition, use souvent du contouring dans la conception même de l’objet. Étymologiquement parlant, le terme de “design” provient notamment du français “dessein” signifiant “dessin” et “but” jusqu’au XVIIe siècle, comme l’explique le linguiste Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française (1992). Le lien sémantique entre une silhouette et une fonctionnalité est ainsi renforcé dans des créations tridimensionnelles, à la manière de la Wooden Table du duo belge Muller Van Severen, expert en la matière. Ici, le contouring dessine l’armature du plateau et le piètement du meuble, structurant un contraste entre le bois et le métal qui revisite la traditionnelle table d’écolier. À sa façon, l’artiste et designer polonaise Maria Jurek, n’hésite pas à s’approprier le concept en faisant un triple contouring qu’elle compose en dégradés colorés pour encadrer ses miroirs faits à la main. Outre la superposition qui favorise un jeu d’épaisseur, le trio de cadres prolonge un effet concentrique et homothétique qui rappelle l’esthétique des iconiques miroirs Ultrafragola (1970) d’Ettore Sottsass.
DÉFINIR UNE NARRATION
Comme tout concept esthétique, le contouring connaît des variantes, des déclinaisons. Si on la définit surtout dans un positionnement contigu à ce qui fait chose — pour en surligner son contour —, la tendance s’exprime aussi parfois avec un procédé qui relève de l’éloignement. Ainsi détachée de l’objet, elle ne peut plus prouver son efficience dans le champ du design, ou autrement dit de la création matérielle. Mais elle s’exprime dans la mise en scène et la mise en forme, s’immisçant alors dans un rôle relatif à la scénographie et à la théâtralisation. C’est ce dont usent sur Instagram le concept store berlinois Voo Store pour mettre en avant un sac cabas ou encore le studio créatif The Blanchbert pour scénariser un look, en s’inspirant de l’archétype d’un marquage de scène de crime. Perçu comme un outil visuel narratif, le contouring trouve également sa place dans la conception éditoriale, tel que nous le prouve le designer graphique argentin Matías Falk : ce dernier a imaginé un journal print pour le festival de performances interactives FICTA, dans lequel une série de portraits se retrouvent entourés de figures géométriques et de textes épousant leurs lignes, de façon à insister sur le rôle du corps. Une stylisation qui déploie avec habilité l’identité conceptuelle de l’événement. •
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