Par effet d’accumulation, de multiplication ou de collection, l’objet de tous les jours inspire la mode. Il devient motif à part entière et accède à un nouveau statut en se greffant directement sur le vêtement, redorant ainsi l’image de la babiole anecdotique.
Au-delà du motif imprimé ou de la matière en elle-même, la surface du vêtement devient un support à part entière. Elle s’augmente d’objets extraits du quotidien, les déviant ainsi de leurs fonctions initiales au service d’une certaine sculpturalité. Par la greffe d’objets collectés ou de fac-similés extraits du quotidien populaire, le vêtement s’attribue un relief qui assume l’absurde : antithèses d’une logique rationnelle, accessoires et babioles s’aimantent au vestiaire contemporain.
INSPIRATION SURRÉALISTE
En 1936, Salvador Dalí crée Le veston aphrodisiaque : un “veston de smoking recouvert de verres à liqueur contenant du Pippermint”, tel qu’il le décrit dans son article “Honneur à l’objet !” paru dans la revue Cahiers d’art la même année. Ce type d’assemblage incongru reflète tout l’esprit du surréalisme : formaliser des vérités alternatives au moyen d’associations d’images issues du réel. La combinaison du verre et du vêtement illustre ici un comportement, une identité, qui se traduit visuellement par le quantifiable : la multiplication et la répétition des récipients renseignent la force de caractère de la boisson — réputée pour ses vertus aphrodisiaques. De la même manière, pour sa collection Automne-Hiver 2019/2020 qu’il a intitulé “La Collectionneuse”, Jacquemus présente un costume féminin sur lequel sont cousues des bagues destinées à accueillir des fleurs. Tulipes et marguerites dressent alors le portrait d’un esprit sensible et romantique : le corps est invité à s’envelopper dans une étoffe qui lui ressemble.
TRANSPOSER L’OBJET
La conjugaison vêtement-objet est une pratique ayant fait sa place dans les dernières fashion weeks : pour leurs défilés masculins Automne-Hiver 2022/2023, Louis Vuitton a dévoilé un ensemble recouvert de faux avions en papier tandis que Loewe a présenté un pardessus en laine ponctué de boutons XXL. Même démarche pour la marque espagnole, sur le podium Printemps-Été 2023, qui soutient un discours lié aux technologies : des manteaux pour hommes se retrouvent agrémentés d’écrans, d’autres fusionnent avec des coques pour smartphone, clés USB et accessoires audio, dans une esthétique monochrome. Ainsi transposés sur des vestes, des pantalons et des costumes, ces accessoires en tous genres sont valorisés telles des amulettes : on porte une série de clés — sur son dos, avec un blouson signé Lafaille — comme on arbore une collection de pins, de badges, de médailles. L’objet initial n’a plus de fonction, il est devenu purement ornemental.
VERS L’UPCYCLING
Utiliser l’objet quelconque dans un nouveau contexte réveille la question de l’usage. Alors que JW Anderson a fait défiler pour sa collection Printemps-Été 2023 un col roulé sans manche composé de touches de clavier informatique, ce patchwork en trois dimensions offre un panaché de caractères typographiques semblant avoir été jaunis par le temps. Un clin d’œil au mouvement de l’upcycling, à l’image de ce que concrétise la jeune marque américaine Dauphinette en réunissant des assiettes en porcelaine désuètes et ébréchées pour en faire un motif géométrique à porter. La designer new-yorkaise Nicole McLaughlin imagine elle aussi des pièces upcyclées, trouvant aux objets domestiques une valeur d’accessoire de mode. Cette dernière conçoit, à travers ses paires de chaussures, ses shorts ou encore ses brassières, des pièces qui réutilisent des babioles ordinaires : elle accumule jouets, aliments et ustensiles pour créer de nouvelles tenues à porter, toujours aussi improbables qu’une veste dalinienne. •