Par Laëtitia Toulout
COLLAGE // Dans le papier, Ben Branagan opère une arithmétique visuelle. En soustrayant et en additionnant de la matière, l’artiste londonien met en forme des collages qui réinterprètent le culte du corps, tout en exaltant une gymnastique graphique bien ordonnée.
Des pages jaunies, un graphisme sobre et des photographies en noir et blanc : la matière utilisée par Ben Branagan dans sa série Bodies (2015) vient résolument d’un temps passé. En attestent shorts et chaussettes hautes sur des corps musclés, immobilisés dans des positions diversifiées, usant parfois d’une structure métallique voire mécanisée. Corps d’hommes et titres de chapitres sans fioritures tel que « abdominals » proviennent en effet d’un manuel sportif décrivant et inculquant échauffements et étirements musculaires.
Cependant, la fonction initiale de la revue est détournée par Ben Branagan, qui tire de ces pages et figures une substance graphique, un point de vue artistique, entièrement dévoué à l’aspect géométrique et esthétique. Pour se faire, il agit dans la matière même en y découpant des formes circulaires, qu’il disperse ça et là au sein des pages choisies. Ces dernières perdent alors leur sens premier, et agissent comme une multitude de zooms sur des détails de courbes, de matières ou de formes. On pense aux détails des cartes ou des organismes représentés par des cercles dans les manuels de géographie ou de biologie. Mais dans cette série, les cercles en question ont une visée complètement graphique et aucunement pédagogique. Parfois, le sujet démonstrateur n’a plus de visage, ou bien c’est son corps qui s’en trouve déformé, au sein d’un jeu tout autant respectueux que rieur. Le collage n’ajoute pas des éléments éparses, mais soustrait autant qu’il additionne en n’utilisant qu’un champ lexical et visuel restreint. Autrement dit, l’artiste n’assemble pas des motifs découpés en amont, mais se force à une pauvreté matérielle et délibérée qui réduit les possibilités au strict contenu de ce manuel de sport.
La transformation des corps est double, par l’intervention de la pratique sportive à laquelle s’ajoute la main de l’artiste qui coupe et qui colle, retournant et détournant les formes tout autant que la signification globale des images. À l’aune de notre époque, on peut percevoir dans Bodies quelque chose ayant attrait au cyborg. Les époques s’entrelacent, le bodybuilding devient alors une pratique archéologique dans l’histoire de la fusion des objets et robots aux êtres humains. Les machines ici visibles se greffent ou s’intègrent directement à l’organisme. Du culte du corps au corps augmenté puis trafiqué, le manuel ainsi modifié ne s’adresserait-il pas à un trans-homme dénaturalisé ? //
Ben Branagan
www.benbranagan.co.uk