Gabriel Rico, II Mural, 2020, série Reducción objetiva orquestada (2016-2021), 2020,
courtesy of the artist & Perrotin / Photo © Diego G. Argüelles
INTERVIEW // Exposé à la galerie Perrotin au printemps 2020, l’artiste mexicain Gabriel Rico (né en 1980) opère une équation plastique entre symboles issus de l’environnement naturel et icônes de la société contemporaine. Au cœur de sa pratique, réside le questionnement constant de la relation homme-nature, éternel clin d’œil aux sciences physiques et philosophiques.
- Vos sculptures et installations mixent une grande variété d’images : néons, taxidermie, objets usuels, éléments naturels… Qu’est-ce qui guide la composition de vos œuvres ?
Gabriel Rico : Durant mes études d’architecture, j’ai réalisé que la conception d’un bâtiment requerrait une mixité de plusieurs matériaux pour fournir une cohérence structurelle et suggérer une forme à la construction. Je pense que c’est le même principe qui guide la sélection des matériaux que j’utilise dans le développement de mes pièces.
- Qu’est-ce qui a inspiré ce langage artistique qui vous est propre ?
Gabriel Rico : Ma relation avec les objets et la signification qu’ils acquièrent quand je les transpose dans un autre contexte, une nouvelle situation qui dépasse leur logique fonctionnelle habituelle. Je m’inspire aussi de principes scientifiques et de certaines analogies philosophiques. La contemplation de la nature est, sans nul doute, l’une de mes plus constantes et solides sources d’inspiration.
- L’objet issu de la société de consommation contemporaine occupe une place récurrente dans vos pièces. En regard de courants artistiques majeurs comme le Pop art ou le Nouveau réalisme, comment situez-vous votre pratique ?
Gabriel Rico : L’art a cette particularité de pouvoir se référer à certains moments de l’histoire de l’humanité, et cela au moyen de thématiques traitées à travers des œuvres et des mouvements artistiques, en plus de matériaux spécifiques utilisés dans la production des œuvres. Ma pratique peut être lue telle qu’elle a été générée à un certain moment : par exemple, dans certaines pièces, j’utilise des polymères synthétiques — des plastiques — habituellement destinés à la fabrication d’accessoires de tous types. Autre exemple, si j’utilise un CD dans une pièce, cette dernière peut être perçue comme n’ayant pu être créée avant l’invention du CD. Si, dans cette même pièce, j’utilise un sac plastique biodégradable, la question « quand cette pièce a-t-elle été produite ? » est encore plus évidente ; je pense que c’est grâce à cela que l’on peut déceler plusieurs indices pour élaborer un critère spatio-temporel dans lequel s’inscrit la pièce produite. Bien évidemment, ces matériaux offrent aussi un contexte socio-culturel selon l’époque à laquelle ils ont été produits.
- Au-delà de l’objet industriel, vous dressez également souvent des saynètes incluant des figures animales et végétales. Quelle(s) valeur(s) sémantique(s) établissez-vous à travers elles ?
Gabriel Rico : C’est une approche littérale d’une question qui me traverse constamment l’esprit : quelle est la relation actuelle entre l’Homme et la Nature ?
- Qu’il s’agisse d’addition et de multiplication d’objets, ou même de symétrie dans les formes, une certaine mathématique rythme votre travail. Votre méthode s’appuie-t-elle sur une logique arithmétique ou a contrario aléatoire ?
Gabriel Rico : Je lis en permanence des textes sur la physique et les mathématiques, et je fais cela de manière consciente de façon à étudier certains aspects scientifiques tels que la topologie ou différentes théories liées à de nouveaux symbolismes, de façon à exprimer certaines valeurs significatives présentes dans la nature. Par exemple, la lettre « C » représente la vitesse de la lumière. L’esthétique générée en créant de nouvelles équations ou formules avec lesquelles nous tentons de définir des facteurs essentiels de l’univers produit naturellement et obéit davantage aux exigences pratiques qu’aux exigences de composition. Ces dernières sont celles sur lesquelles je fonde la plupart des principes esthétiques présents dans mes œuvres. Pour moi, la logique utilisée dans la création d’une nouvelle équation bénéficie d’une certaine liberté idéologique pour se référer à des concepts jusqu’ici abstraits. Mes équations tentent de facturer et de décomposer l’être humain contemporain et se réfèrent à une mémoire collective. Dans cette voie, ma pratique s’apparente à une image bien plus viscérale de ce que nous sommes aujourd’hui.
- Votre exposition Natures Loves to Hide chez Perrotin à Paris emprunte son titre à une citation du philosophe grec Héraclite (VIᵉ siècle av. J.-C.). Quels liens peut-on tisser avec votre exposition ?
Gabriel Rico : J’ai choisi ce titre pour sa simplicité et son élégance, avec l’idée de se référer à un facteur qui trouble habituellement notre sens de la critique lorsque nous voulons trouver des réponses concrètes dans la nature. La nature est là pour ce qu’elle est et non pour couvrir nos besoins, quels qu’ils soient. Les pièces présentes dans l’exposition suggèrent un voyage à une certaine époque où je décide d’utiliser certains éléments issus de la nature plutôt que d’autres. Cette prise de décision, cette sélection, agit comme si je pouvais déchiffrer la relation cachée qui existe entre les « objets naturels » et ceux produits par l’Homme. C’est cela qui conjugue le titre de l’exposition avec le concept même de la plupart des pièces exposées. //
Exposition Natures Loves to Hide by Gabriel Rico
présentée au printemps 2020 at Galerie Perrotin
76 rue de Turenne 75003 Paris
www.perrotin.com