Le duo d’artistes Ouazzani Carrier ouvre son laboratoire d’expérimentations à l’occasion d’une exposition de fin de résidence à la Maison Salvan (Labège). Les plantes y sont à la fois un point de départ et un sujet pour des réflexions sur notre société présente et future.
Dans le contexte urbain, la végétation est souvent décorative : elle s’intègre, taillée au millimètre, auprès des architectures de béton ; les formes géométriques des yuccas et autres espèces tropicales font partie de nos quotidiens, rangées dans des pots et posées dans nos bureaux, salons, salles d’attente. Aveuglés par la vitesse, nous voyons à peine celles qui poussent au bord des autoroutes que nous traversons. Nous côtoyons davantage des espèces exotiques que les plantes véritablement locales. C’est toute l’ironie de la situation que met en exergue l’installation Infiltrations : des « plantes ornementales », empruntées aux bureaux de la mairie de Labège y sont nourries par des infusions d’ortie, de pissenlit, d’armoise, de ronce. Les plantes locales sont des « mauvaises herbes » qui servent dès lors à maintenir en vie les plantes exotiques que nous voulons auprès de nous.
C’est l’histoire et les absurdités de la globalisation qui sont subtilement racontées ici par Marie Ouazzani et Nicolas Carrier. Et plus encore dans les deux films qui ouvrent l’exposition, où deux espèces de plantes sont mises en exergue avec l’architecture portuaire : le yucca à La Junqueira (Portugal) dans la première, le palmier (arecaceae) à Brest dans la seconde. Après avoir traversé les océans, ces plantes “d’ailleurs” ne pourraient-elles pas devenir des plantes “d’ici”, s’implantant dans des lieux eux-mêmes bouleversés par le réchauffement climatique ? C’est l’histoire des transformations en cours et à venir qui se joue ici. Dans une vision anticipatrice, nos villes et périphéries de béton sont déjà les ruines d’un monde mort qui a posé ses graines : avec ses architectures dévorantes, colonisant les sols et les airs, ses flux et mouvements par lesquels les choses transitent, s’échappent et échangent. Nous entrevoyons donc ici l’étape d’après : une plante comme le palmier qui sort des jardins et ronds-points pour coloniser véritablement, habiter une ville, à des milliers de kilomètres de sa terre d’origine. Les territoires se redéfinissent.
C’est presque imperceptiblement que Ouazzani Carrier nous amène dans un futur proche et possible. D’œuvres en œuvres, nous naviguons entre notre monde actuel et sommes invités à nous projeter dans ses conséquences à venir. Sans jugement, nous contemplons les narrations qui s’envisagent. Des strates d’histoires se faufilent les unes entre les autres, que nous pouvons appréhender avec l’ensemble de nos sens. Nous circulons entre des plantes, les voyons actrices, sommes invités à deviner leurs frémissements au-delà de notre propre vacarme, et pouvons goûter leurs saveurs – sous la forme, en l’occurrence, d’une infusion de pensée sauvage. L’attention est de mise, ainsi que le soin qui en découle : les plantes qui se nourrissent les unes des autres, l’infusion qui nous réchauffe. Et surtout, dans Maisons avocats, l’histoire de liens qui se forgent entre un monsieur vieillissant et des avocatiers grandissants. Les corps et les feuilles se caressent entre eux, comme s’ils échangeaient des flux de vie. Ce qui est le cas : les plantes produisent l’oxygène que nous respirons à partir du CO2 que nous rejetons. La collision mineure, c’est la prise en considération des corps et des éléments qui s’entrechoquent imperceptiblement, et c’est de ce contact qu’émerge, coûte que coûte, la vie. •
Exposition “Collision mineure” by Ouazzani Carrier
Jusqu’au 2 avril 2022 à la Maison Salvan
1, rue de l’Ancien Château 31670 Labège
maison-salvan.fr