Jusqu’au 16 juin prochain, cinq jeunes talents issus de la scène contemporaine s’infiltrent à l’Acacias Art Center, dans le cadre du Prix Reiffers Art Initiatives. En éclairant des épisodes de l’Histoire ou en établissant de nouveaux schémas narratifs, les artistes exposées révisent la topographie d’un monde en perpétuel mouvement.
S’il est moins question de possession que d’interprétation pour ces cinq artistes, leurs manières d’« habiter le monde » déterminent un territoire commun. Par le biais d’œuvres physiques ou numériques, chacune d’elles explore le potentiel spatial des deux plateaux d’exposition — en peignant à même le mur, en verticalisant l’œuvre du sol au plafond, en diffusant une vidéo sur écran. La diversité des pratiques et des médiums sert dès lors un porte-parolat collectif : proposer une nouvelle lecture de la société, à rebours de ses caractéristiques socio-économiques, historiques et culturelles connues.
L’exposition “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde” se mesure ainsi à une géographie marquée d’aires narratives. Dès l’entrée, Ser Serpas (née en 1995, Los Angeles) avertit d’une certaine distorsion en venant perturber les parois blanches de l’espace par de grandes phrases rédigées à l’encre, conversant avec des rideaux avachis au sol. À demi effacés, dégoulinants, les mots écrits en lettres majuscules signalent une esthétique du graffiti — renvoyant ainsi à la rue, première matériauthèque de l’artiste qui y source des rebuts ensuite agglomérés en sculptures.
Poursuivant d’autres formes d’écritures, Meriem Bennani (née en 1988, Rabat) fait le choix du détournement pour témoigner d’un regard anti-conformiste sur le monde contemporain. Deux installations motorisées s’agitent devant sa vidéo 2 Lizards (2021), ode absurde et fantaisiste à la pandémie mondiale de la Covid. Réalisée avec Orian Barki, la fiction suit deux lézards anthropomorphes dans un quotidien marqué par l’ennui et l’humour. Non loin de la projection, Han Bing (née en 1986, Shandong) révèle à son tour un esprit buissonnier : elle individualise des pages de journaux pour en perturber les images par des taches de peinture acrylique. Une forme de contamination que l’on retrouve dans ses grandes toiles d’inspiration affichiste et qui efface ici toute identité des portraits représentés, anonymisant ces personnages dont seuls les légendes et les titres encore visibles offrent des indices.
Au moyen de l’installation, l’artiste italo-sénégalaise Binta Diaw (née en 1995, Milan) fait le choix de relire l’esclavagisme en usant de l’iconographie de la mangrove pour la transformer en une série de modules qui conjuguent nature, corps et histoire. D’immenses tresses de cheveux, par analogie aux racines, trempent dans des flaques éparses, morcelées, et bordées de terre, évoquant la fragilité des femmes africaines ayant vécu cet épisode dramatique historique. Dans une configuration proche, Bianca Bondi (née en 1986, Johannesburg) élabore des “îlots” où elle implante mobilier, objets et végétation pétrifiés, comme givrés. La présence du sel — comme matière brute, sous forme de pâte ou d’eau salée — évoque un univers mystique et incantatoire qui navigue entre sciences naturelles et occultes pour façonner des zones liminales, sortes d’échappatoires à la réalité. Une méthode qui, parmi les autres réunies dans l’exposition, s’inscrit dans ce leitmotiv partagé : pour “habiter ce monde”, il faut le raconter autrement. •
Exposition collective “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde”
Jusqu’au 16 juin 2023 at Acacias Art Center
30, rue des Acacias – 75017 Paris
reiffersartinitiatives.com