Exposée aux Rencontres d’Arles dans le cadre du group show “Søsterskap. Photographies contemporaines nordiques”, Fryd Frydendahl (née en 1984, Copenhague) s’engage intimement avec les sujets qu’elle portraiture. Extraites de son livre Salad Days, les images qu’elle présente résultent d’une mise en scène où l’intuition et la réalité prennent des accents surréalistes.
Comment s’est amorcée votre rencontre avec le médium photographique ?
Fryd Frydendahl : J’ai réellement commencé la photographie à l’âge de 17 ans, au moment où j’ai abandonné le lycée. Lorsque j’ai annoncé à mes parents et au conseiller d’orientation mon souhait de délaisser les études, j’ai été envoyée chez la psy ; cette dernière m’a donné un carnet et m’a demandé d’y formuler ce que je voulais faire plutôt que d’aller à l’école. J’ai retrouvé ce carnet il y a quelques années, dans une boîte chez mon père. Sur la première page, j’avais écrit : “Je veux faire de la photographie et être reconnue…” Après cet épisode, j’ai fréquenté une sorte de pensionnat créatif qui proposait la photographie comme matière. Je pense que ce qui m’a amené vers la photo était le fait que je n’étais pas douée pour représenter ce que je visualisais, et ma rencontre avec ce médium a rendu cela possible. Pendant mes toutes premières années de pratique, j’ai surtout fait de la mise en scène, puis avec le temps, j’ai fusionné mon point de vue avec la réalité.
À quoi contribue le portrait contrairement à la nature morte que vous photographiez aussi ?
Fryd Frydendahl : J’aime autant travailler la nature morte – comme l’illustre ma récente série Oddly Satisfying – que le portrait. En ce qui concerne celui-ci, il y a vraiment quelque chose de magique qui s’opère dans la fusion entre la vision que vous avez du sujet devant vous et celle qu’il a de vous. Quand je photographie quelqu’un, l’ambiance est généralement très silencieuse. On bavarde beaucoup avant et après la séance mais pendant, on reste concentré et c’est assez intense. J’ai tendance à shooter rapidement parce que je planifie toujours ce dont j’ai besoin au préalable.
L’influence du surréalisme se perçoit clairement dans votre production. Est-ce une manière d’échapper à la réalité ?
Fryd Frydendahl : Je me sens redevable envers des artistes comme Man Ray, et au mouvement qu’ils ont impulsé, en particulier les photographies esthétisées du corps : on y retrouve de l’animé dans l’inanimé, et vice versa. Dans mes premiers travaux, la fascination pour le surréalisme est très évidente et s’exprime par de grandes paires de cils, des larmes qui coulent sur les joues. Mais je ne suis pas aussi glamour, mon esthétique est plus rugueuse. Selon moi, le surréalisme est un univers où la peau et les liquides corporels apparaissent comme autre chose. Cela rend l’ensemble magique, on prend un sujet ordinaire et réel pour le réorganiser et on lui attribue un nouveau contexte, une nouvelle lumière, pour présenter le tout différemment et “anormalement”. C’est comme explorer le corps à la manière d’une sculpture.
Comment percevez-vous la photographie dans les pays nordiques ?
Fryd Frydendahl : Il y a une très forte histoire de la photographie dans le Nord et je suis fière d’y contribuer. Tout le monde aime l’expression “photographie nordique”, mais je suis encore en train d’essayer de comprendre ce dont il s’agit. Mon travail vit principalement dans le monde de l’art, donc je ressens parfois une certaine collision avec des photographes plus documentaires, mais cela ne me déplaît pas. La photographie en elle-même relève de la friction car elle sera toujours un détournement de la réalité, peu importe le genre auquel elle appartient.
Qu’incarne votre livre Salad Days, d’où sont issues les photographies exposées dans “Søsterskap”, aux Rencontres d’Arles ?
Fryd Frydendahl : Salad Days retrace mon propre parcours en tant qu’artiste. Le corpus d’images dans le livre brasse une période de dix ans, couvrant certains de mes premiers travaux jamais montrés encore ou des photos inédites, récemment produites. Au début de ma carrière, j’ai entamé une importante série sur mes neveux pour surmonter la perte traumatisante de ma sœur. Ce projet a pris plus de dix ans à se faire, il a profondément influencé ma façon de percevoir la photographie en général. Les portraits de cette collection incarnent à la fois cette expérience et ma pratique, où tout est solidement lié à l’autre. Quand je regarde ces images, je peux exactement savoir où j’en étais dans ma vie à tel moment et ce que j’ai pu ressentir. Je pense que le sentiment sous-jacent de Salad Days est un sentiment d’innocence qui s’attache à une personne qui ne connaît pas encore tout, quel que soit son âge, sa vulnérabilité en tant qu’être humain. •
Exposition “Søsterskap. Photographies contemporaines nordiques”
Jusqu’au 24 septembre 2023 at église Sainte-Anne
8, place de la République – 13200 Arles
rencontres-arles.com