Présentée dans le cadre du festival Circulation(s) au CENTQUATRE, la série “Ilinx” du photographe Jérémy Appert associe états aquatiques et portraits fantomatiques. L’intensité esthétique et symbolique de son œuvre, qui a conquis le public cette année, permet d’aborder le thème de l’eau à travers un prisme onirique.
À quoi se réfère le titre de votre série “Ilinx” exposée au festival Circulation(s) ?
Jérémy Appert : Le sociologue Roger Caillois a réfléchi à la manière dont les jeux fondent nos sociétés humaines. Il regroupe sous le nom d’Ilinx tout jeu qui a trait à l’expérience du vertige, tels que les jeux de sport extrême, de perte d’orientation, de prise de drogue. Des jeux où l’on cherche à « anéantir la réalité avec une souveraine brusquerie ». En grec ancien, “ilinx” (ίλινξ) signifie “tourbillon d’eau”, et a donné la racine du mot vertige (“ílingos”) en grec.
L’eau est le second protagoniste de vos images. Comment l’avez-vous apprivoisée à travers l’objectif ?
Jérémy Appert : L’un des enjeux de cette série est de donner à voir la mer sous d’autres formes qu’une immensité horizontale, de rendre compte de sa multiplicité. Ici, elle est présentée de manière onirique comme un lieu de défi et de confrontation, que ce soit par ces murs d’eau barrant l’espace, ou ces reflets marins irradiants, telles des galaxies défiant l’insouciance de la jeunesse. Mais, elle se fait aussi le lieu d’une obscurité apaisante, englobante, régénérante. Ce paysage est aussi le centre d’une lutte épique : l’alliance de l’eau et du soleil face à la technologie. Cette dernière, surchauffée et poussée dans ses limites, produit de la condensation, un voile anesthésiant la forme et ajoutant davantage de hasard dans le processus de prise de vue. L’humain s’en trouve partiellement effacé, dilué, en transition, permettant ainsi de représenter le corps dans une quête de transcendance où il oscille entre états solides, éthérés et aqueux.
Quel regard portez-vous sur le portrait photographique ? Qu’est-ce qui vous interpelle dans la lecture d’un corps ?
Jérémy Appert : Je vois le portrait comme une rencontre. Une rencontre entre l’image produite d’une collaboration sujet-portraitiste et un regardeur. Je suis fasciné par le corps de celui qui regarde, observe : comment donne-t-il vie aux images ? Quelles réactions physiques et psychiques engendrent-elles en lui ? Comment sa culture, ses blessures, ses mémoires et ses failles donnent sens et interprètent notre proposition ? Enfin, à quel point les architectures technologiques facilitent ou entravent cette rencontre ? Ces questions me poussent à développer actuellement un nouveau projet, où le regardeur est sujet. •
Festival Circulation(s)
Jusqu’au 2 juin 2024
CENTQUATRE – 5, rue Curial 75019 Paris
festival-circulations.com