Un an après son projet « Au-delà » à la Fondation Louis Vuitton, Xie Lei revient à Paris avec une nouvelle exposition à la galerie Semiose. Avec « Mort heureuse », l’artiste récemment nommé au prix Marcel Duchamp 2025 plonge notamment au cœur des forces ambivalentes qui façonnent nos rapports à l’autre, entre désir, plaisir et emprise.
C’est par hasard que Xie Lei (né en 1983, Chine) tombe sur un roman d’Albert Camus, son premier, jamais paru de son vivant, « La mort heureuse ». C’est pour son titre que le peintre s’en approche et pour sa langue qu’il s’y attache, une écriture jeune, exaltée, saturée du parfum des orangers et des lumières dorées de la Méditerranée, zébrée, surtout, par l’éclat singulier de la lucidité de l’auteur face à l’absurdité de la vie. Pour Xie Lei, c’est une évidence : ce titre, cet oxymore, et tout ce qu’il porte d’infigurable, servira de fil rouge à sa nouvelle exposition.
Il y a d’abord ces grandes figures en pied, diluées dans d’irréels camaïeux verts, bleus ou jaunes. Élan, Espoir, Charmeur, Chagrin, Résonance, Allusion, Protection, Possession, huit allégories du désir et des forces qui sous-tendent l’être-à-l’autre. Sur un neuvième format semblable, cinq silhouettes alanguies, couchées dans l’herbe grasse (Shadow, 2024). De toute part, l’ombre mord des lumières intérieures, et dans ces nuits étranges, incendiées de corps phosphorescents, pas un visage, pas un regard, mais des mains. Mains qui enlacent, consolent, entraînent, empoignent, dans une chorégraphie de l’amour et de la tendresse qui tient aussi de l’emprise et de la domination. Car toute l’œuvre de Xie Lei fleurit dans l’équivoque, à l’endroit où caresses et menaces se ressemblent. Dans les petits formats, la tension monte d’un cran, comme si le resserrement du cadre suivait celui de l’œil et de la contrainte. Jusqu’à l’extrémité d’un geste de violence, une tête maintenue au sol par une prise ferme et dure (Absorb, 2024). Et même encore ici, l’ambiguïté demeure. Elle se loge dans le détail que Xie Lei garde vague, symbolique, bivalent : la poussière qu’on fait mordre est de la poussière d’or.
Ainsi retournons-nous à la contradiction que porte le titre de l’exposition. Qu’est-ce que le bonheur aurait à voir avec la mort ? L’artiste chinois préfère décliner les termes de l’équation plutôt que de créditer une réponse trop hâtive. Les images qu’il compose, par leur ambivalence, soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de résolution. Sa peinture doute, tâtonne, comme ces mains qui partout se hasardent à saisir la lumière. Que craindre de trop aimer, trop s’épuiser, trop jouir ? Être heureux, à quel prix ? À quoi bon, si la mort ? Camus écrit : « L’acceptation du bonheur passe par l’acceptation de son corps, et celle de son corps, par l’acceptation de sa mort. » Xie Lei, en quelque sorte, poursuit en ajoutant qu’il faut pour tout cela accepter de lâcher prise, que de cet abandon dépend notre bonheur. Comme il faut bien la nuit pour qu’il y ait le jour, c’est parce que nous sombrons que nous nous étreignons. •
Exposition « Xie Lei. Mort heureuse »
Jusqu’au 15 mars 2025 à la galerie Semiose
44, rue Quincampoix – 75004 Paris
semiose.com