Le jeune artiste parisien Nadjib Ben Ali investit la galerie The Pill avec « No Party », sa première exposition en France. Cadrages serrés, teintes saturées, l’univers du football s’invite et devient prétexte à une exploration contemporaine du portrait.
Comment transforme-t-on une image en peinture ? La question peut paraître étrange, pourtant elle se pose de manière toujours plus insistante à mesure que, chez les peintres, le motif pris sur le vif, ou ce que l’on veut bien encore appeler le « modèle vivant », cède complètement la place aux captures d’écran et aux photographies numériques, c’est-à-dire au « déjà-représenté ». Ainsi opère Nadjib Ben Ali (né en 1994), qui n’échappe pas au tropisme de son temps. Lui aime le football, mais plus encore il aime les images de sa diffusion à la télévision, sur l’écran de son smartphone. Non seulement il les capture, mais il les collectionne pour se constituer un corpus de formes. D’autres artistes travaillent comme lui, ils sont même nombreux aujourd’hui à compiler les screenshots, comme des croquis, dans un dossier sur leur ordinateur. Chez Ben Ali, beaucoup de visages et de détails corporels sont parfois recadrés, retouchés, saturés, pour obtenir ce qu’il désire. L’espace intermédiaire en devient immense, qui sépare le modèle de l’œuvre finale. Au point que l’on peut se demander s’il est encore permis de parler de portraits. Car au fond, le sujet de cette peinture n’est pas le sujet humain, mais son double cathodique.
En cela, Nadjib Ben Ali s’inscrit dans la lignée des peintres qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont pleinement assimilé les codes de l’imagerie publicitaire et médiatique. Avec Martin Kippenberger, Luc Tuymans, Alex Katz et d’autres, il partage un goût pour la culture populaire, et surtout un sens minimal de la fiction. Seulement, là où ses pairs cultivent le détachement émotionnel, Ben Ali laisse précisément poindre du sentiment. Cela se perçoit dans les textures, les contrastes, dans la touche expressive, incandescente, vibrante, dans la sensualité qui laisse l’envie de toucher. C’est que depuis les années 1950-1960, l’imagerie médiatique a colonisé notre quotidien jusque dans ses moindres recoins. Difficile de s’en détacher, de l’appréhender de manière purement abstraite et critique. Le territoire virtuel d’où elle surgit se confond désormais totalement avec nos vies et avec le réel. Tout devient perméable, l’écran déborde, et le trouble, l’émoi que suscite cette forme invasive de l’image entre dès lors nécessairement dans le sujet de la peinture. C’est du Alex Katz, du Luc Tuymans, avec plus d’âpreté, d’inquiétude et de chair.
Mais revenons à ce que nous voyons. Des joueurs au sol, des profils, des visages tendus, l’étiquette d’un maillot, le repos d’un temps mort, regard perdu. Toute la dramaturgie du football, combinée à un sens aigu de la (re)composition. Dans certains corps pliés en forme de paysage, certains aplats découpés au couteau, il y aurait presque du Nicolas de Staël. Il y a surtout, partout, du cinéma, une profonde compréhension des cadrages et de la manière dont ils servent l’émotion et retiennent le suspense. Le détail prend tant de place qu’il nous semble davantage épier que regarder, comme un voyeur épris de nuques ou de chaussettes de sport. Nadjib Ben Ali s’inspire également des clips musicaux et de leurs effets plus saturés, plus rythmés. L’exposition accueille d’ailleurs, en plus de la série sur le football, quelques toiles inspirées de l’univers du rap. Là encore ces figures tutélaires et ambiguës, à la fois héroïques, fragiles et inquiétantes ; là encore ces teintes saturées, acides, puissantes. « Nadjib Ben Ali applique aux images et à la couleur le principe de l’autotune », explique sa galeriste Suela J. Cennet. Et c’est vrai qu’il y a de cela dans ses excès de jaune, dans ses bleus qui phosphorent, dans ses vert-contre-rouge. Distorsions synthétiques, lumières à fleur de peau, tout est faux, si faux, et pourtant cela touche. Il y a là tant de passion, d’énergie et d’envie. Envie de voir, envie de formes, envie de remplir la toile blanche. C’est avec cet élan que Nadjib Ben Ali parvient à faire d’une image une peinture.. •
Exposition « Nadjib Ben Ali. No Party »
Jusqu’au 1er 8 mars 2025 chez The Pill
4, place de Valois – 75001 Paris
thepill.co
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Nadjib Ben Ali, HYBRID BIRTHDAY (TROPICAL MIX), 2024, acrylique sur toile, 130 × 150 cm. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Vue de l’exposition « No Party » de Nadjib Ben Ali, The Pill, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Nadjib Ben Ali, NO PARTY, 2024, 2024, acrylique sur toile, 33 × 46 cm. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Vue de l’exposition « No Party » de Nadjib Ben Ali, The Pill, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Nadjib Ben Ali, HAZMATIK (les flammes), 2024, 2024, acrylique sur toile, 160 × 120 cm. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Vue de l’exposition « No Party » de Nadjib Ben Ali, The Pill, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy de l’artiste et de The Pill.
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Nadjib Ben Ali, TOURBILLON / LA GUITARE, 2024, acrylique sur toile, 38 × 55 cm. Courtesy de l’artiste et de The Pill.