« Crack a smile » : pourquoi il faut voir la nouvelle exposition de Cédric Rivrain

Pour sa nouvelle collaboration avec la galerie Fitzpatrick, Cédric Rivrain investit un ancien garage parisien avec une série de portraits de ses proches, nus. Une exposition d’une grande sensibilité, où son esthétique queer se décline en un camaïeu mélancolique.

Autodidacte, Cédric Rivrain (né en 1977) a débuté sa carrière par le dessin de mode et l’illustration de presse, avant de se lancer dans la peinture. À travers ce médium, il déploie depuis quinze ans une œuvre d’une grande cohérence formelle et d’une rare constance émotionnelle. Pour sa troisième exposition avec la galerie Fitzpatrick, l’artiste investit les six niveaux du Grand Garage Haussmann, à Paris, et déroule en une vingtaine de toiles le panorama de ses affinités électives. On y retrouve les gens qu’il aime, amis, amants, artistes, famille, tous, ou presque, posant nus. Constance, sévère, les bras ballants, si vulnérable ; Anya, plus douce, poitrine posée sur la table ; Morgane, malade, que le cancer a rendu chauve. Le corps des hommes n’est pas en reste, qui se dévoile à la fenêtre ou chevauchant d’étranges montures. Celui de Gary, entre deux eaux, buste au seins nus, sexe pendant. Jusqu’au dernier étage, où le peintre s’offre enfin, lui aussi, dans le reflet d’un grand miroir, corps sec et regard transparent.

Déshabiller le regard

Ainsi, partout, des êtres à nu. Mais une nudité sans tapage, qui n’appelle aucun érotisme, une nudité-sujet qui ne s’excuse pas de s’offrir. Pour chaque peinture, Cédric Rivrain demande une brève séance de pose, parfois quelques photographies pour mieux se souvenir des détails. Tout est ensuite repris de mémoire, longuement, lentement. Pourquoi déshabiller les modèles ? C’est une monnaie d’échange à ce temps qu’il passe à les peindre, aux heures qu’il ne compte pas en compagnie de leurs doubles. C’est un don / contre-don, une marque de confiance. 

Partout, surtout, des yeux braqués, perdus dans le vague et le silence, que la mise au point sur le visage, laissant souvent les corps plus flous, rend insistants. « Crack a smile » affiche le titre de l’exposition, pourtant on n’en trouve guère dans cette compagnie-là, c’est à peine si les lèvres consentent à s’entrouvrir. Un sourire est un masque, ici pas d’artifice. Tout est dans les regards : celui de l’artiste sur ses modèles, furtif et scrutateur, et ceux que la peinture nous renvoie dans le temps retenu de l’image à jamais figée. Cela, on le devine, procède du manque, d’un besoin infini de pallier les absences. Du désir également. Pourquoi pas de l’amour. Avant d’être des nus, il s’agit de portraits, et l’on tombe amoureux aussi bien des peintures.

Esthétique queer

Si ce sont des portraits, ce ne sont pas que ça. Dans son indécision à fixer ce sourire qu’il retient au-dedans, dans l’iconographie doucement onirique qu’il laisse poindre çà et là, dans la qualité même de sa peinture, évanescente, flottante, Cédric Rivrain cultive une esthétique et un rapport à la représentation de l’individu que l’on pourrait qualifier de queer. Bien entendu, les sujets le sont, homosexuel.les et transexuel.les, reines de la nuit et militants. Mais il y a autre chose, de profondément plus ambigu, entre le renoncement et l’envie de s’avancer, d’aller au-devant et de dire : « ecce homo », voici l’homme, vos semblables et vos peurs, vos égaux et vos proies. Tout est alors à nu, plus que nu. Jusqu’au point où il semble que c’est la peinture elle-même qui nous dévisage. Qu’elle dresse des sentinelles, l’air entre chien et loup. Pas tout à fait gentilles, pas tout à fait féroces.

Au cœur de ce récit de l’entre-deux, des animaux s’invitent. Un petit chat à la fenêtre, sa patte posée contre le carreau embué, comme d’autres modèles posent leur main sur la vitre qui les sépare de nous. Des chevaux fantastiques, qui se cabrent ou qu’on coiffe. Puis le singe et le cygne, qui accompagnent l’artiste depuis plusieurs années. Le premier se réfère à des souvenirs d’enfance à Gibraltar, d’où Cédric Rivrain l’a ramené pour en faire son totem. Le second, bel et blanc, se débat avec la réalité. C’est peut-être le poète, l’oiseau trop grand, trop lourd, mais si beau dans son vol. Fragilité, douceur, flirtent aussi avec l’humour, dans un corps à corps incongru avec un aspirateur.


Exposition « Cédric Rivrain. Crack a smile »
Jusqu’au 21 juin 2025 au Grand Garage Hausmann
(sur rendez-vous)
43-45, rue de Laborde – 75008 Paris
fitzpatrick.gallery


Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Rodrigue nu, 2025, huile sur lin, 150 × 130 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Révérence, 2025, huile sur lin, 180 × 240 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Anya, 2025, huile sur lin, 70 × 60 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Cygne et aspirateur, 2025, huile sur lin, 120 × 100 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Nogoflani dans le bus, 2025, huile sur lin, 160 × 240 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

Cédric Rivrain, Kevin et Biboune, 2025, huile sur lin, 100 × 75 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Cédric Rivrain, Nassim au miroir, 2025, huile sur lin, 150 × 120 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Holly Fogg.

Vue de l’exposition « Crack a smile » de Cédric Rivrain, Grand Garage Hausmann, Paris, 2025. Courtesy de l’artiste et de la galerie Fitzpatrick. Photo : Thomas Lannes.

« Crack a smile » : pourquoi il faut voir la nouvelle exposition de Cédric Rivrain