Artiste invité de la Project Room de la galerie Suzanne Tarasieve, Mathieu Santori, lauréat du prix du dessin contemporain des Beaux-Arts de Paris (2024), est le contrepoint pensé de la rétrospective dédiée au photographe ukrainien Boris Mikhaïlov.
C’est un univers visuel comme on n’en a plus vu depuis les dessins et les aquarelles fantaisistes de l’Américain Henry Darger (1892-1973). Comme lui, Mathieu Santori (né en 1994) a développé une curiosité et une technique d’autodidacte, témoignant d’un goût pour les personnages en mouvement, les cycles narratifs imprégnés des sensations colorées de l’enfance. Mais ses narrations sont inspirées des animés japonais, ses compositions traversées d’une tension érotique effrontée.
Passé par les Beaux-Arts de Rennes, Mathieu Santori se forme à Paris dans l’atelier du peintre James Rielly chez qui il puise un humour britannique. Plus tard, ce sera celui de la sculptrice et dessinatrice Tatiana Trouvé qui lui inspire le souci du détail. Déjà, dès l’enfance, à l’âge de cinq ans, il s’initie au dessin. Aujourd’hui absorbé par le médium, il passe 10 à 14 heures le dos courbé sur ses miniatures. Une forme d’ascèse qui confine à un état méditatif. Depuis plusieurs années, il expérimente un désir de minutie et un penchant naturel pour la profusion d’éléments figuratifs. Par économie de temps et de moyens, son choix s’oriente vers de petits formats réalisés à la mine affûtée.
Présenté telle une boîte de chocolat, suspendue par quatre fils, Dévore-moi la bave aux lèvres (2025) présente à la vue des visiteurs un monticule d’escargots aux coquilles vernies et lustrées. Mathieu Santori s’est amusé à en reprendre le patron, à en reproduire l’intérieur doré et la préciosité des illustrations. Sur la face avant : un duo d’enfants à la lisière d’une forêt, où, en arrière-plan, trois militaires conversent au repos. La scène est intrigante, sujette à interprétations. L’artiste est vêtu d’une tenue d’été de sous-officier de la gendarmerie nationale héritée de son père et de son grand-père, sa sœur d’un uniforme d’écolière japonaise. Sur la face arrière : le rapport de domination avec l’animal est inversé, ce sont les humains qui sont voués à la merci du bon vouloir capricieux de ceux qui les observent. Plus loin, l’allégorie de la boîte de Pandore mêle l’opulence à la luxure (Tu ouvriras tes yeux et j’ouvrirai mes jambes, 2025). Un sexe de femme laisse sortir de sa béance une colonie d’escargots. C’est le génie créateur de la mère qui enfante la nature. Mais aussi une évocation de la folie érotique du Rêve de la femme du pêcheur (1814) d’Hokusai et la frontalité des images pornographiques. Pour le décor paysager, on pense aux peintres de la Renaissance flamande et italienne, à l’arrière-plan architectural et végétal de la Vierge au Chancelier Rolin de Van Eyck (1430-1435), à la ligne sinueuse de l’Arno figurée au-dessus du buste de la Joconde (1503). Toutes les influences classiques et populaires, picturales et symboliques du dessinateur sont ici convoquées.
Dans une forme de continuité visuelle, on retrouve pour une œuvre réalisée sur papier peint (Fut-il de cruauté plus douce que l’espérance ?, 2025) le motif des gendarmes et des gastéropodes. Deux poupons jouent avec des personnages et des voitures de gendarmerie. Aux côtés d’un bouquet de fleurs qui n’a rien à envier à ceux du 17e siècle hollandais, un lapin s’échappe, poursuivi par un Arlequin lui-même pris en joue par un homme rattrapé par un chien à la gueule ouverte. C’est l’angoisse d’une course effrénée vécue en cauchemar dont la violence est adoucie par les teintes pastel de l’ensemble, la douceur et la rondeur des joues des deux enfants. C’est en définitive une œuvre qui se situe à la frontière entre fascination et répulsion, présent transfiguré et passé fantasmé. Une production nourrie des cultures japonaise, corse et italienne qui tend à épouser la tridimensionnalité par des “dessins-volumes” qui investissent l’espace d’exposition. Un goût contagieux pour les contes revisités où s’imbriquent souvenirs et rêves. Une œuvre en devenir qui, déjà, intrigue autant qu’elle séduit. •
Exposition « Mathieu Santori. Plaisir et Culpabilité »
Jusqu’au 17 janvier 2026 à la Galerie Suzanne Tarasieve
7, rue Pastourelle – 75003 Paris
suzanne-tarasieve.com

Vue de l’exposition « Plaisir et Culpabilité » de Mathieu Santori, Galerie Suzanne Tarasieve, Paris, 2025-2026. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Mathieu Santori, Dévore-moi la bave aux lèvres, 2025, crayons de couleur sur boîte en papier, coquilles de petit-gris, vernis, feuille d’or, 14 × 9 × 8,5 cm. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Mathieu Santori, Un petit garçon est tombé de vélo, 2025, crayons de couleur sur boîte en papier, 9 × 7 × 4 cm. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Vue de l’exposition « Plaisir et Culpabilité » de Mathieu Santori, Galerie Suzanne Tarasieve, Paris, 2025-2026. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Mathieu Santori, La situation mérite attention, 2025, crayons de couleur et acrylique sur bois restauré, 59 × 40,5 × 5 cm. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Vue de l’exposition « Plaisir et Culpabilité » de Mathieu Santori, Galerie Suzanne Tarasieve, Paris, 2025-2026. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.

Vue de l’exposition « Plaisir et Culpabilité » de Mathieu Santori, Galerie Suzanne Tarasieve, Paris, 2025-2026. Photo : Benoit Fougeirol. Courtesy de l’artiste et de la galerie Suzanne Tarasieve.


