Tous les ans, le prix Mezzanine Sud, organisé par les Amis des Abattoirs de Toulouse, met en lumière de jeunes artistes attachés à la région Occitanie. Jusqu’au 28 avril prochain, les expositions des lauréats de l’édition 2023 — Rayan Yasmineh, Matthieu Haberard et Margaux Fontaine — marquent la découverte de trois univers radicalement différents.
Rayan Yasmineh : un mélange des genres
Entrer dans une exposition de Rayan Yasmineh (né en 1996, Paris) c’est se croire, aux premiers regards, dans un musée des beaux-arts ; en attestent les tapisseries aux motifs floraux faisant référence à un paradis perdu ou à un âge d’or rêvé, les nombreuses ornementations, les scènes de combat ou les portraits langoureux. L’iconographie est plurielle, les époques se côtoient et se mêlent. On peut s’amuser à deviner les références et inspirations de cet artiste unique qui multiplie clins d’œil et hommages, s’inspirant autant des miniatures persanes que des fresques médiévales. L’ornementation et les scènes rassemblent des sphères culturelles que l’on a l’habitude de scinder dans nos lectures — dans les salles des musées ou les livres d’histoire. Pourtant, aujourd’hui, de même que nous pouvons puiser dans les mythes ou les socles philosophiques de différentes sociétés pour interroger nos manières de vivre, nous faisons aussi partie des conflits qui bousculent notre monde. Les figures des bourreaux, des victimes ou des témoins se mêlent en un seul tableau — chaos.
Matthieu Haberard : les histoires se vivent, s’écrivent, se répètent, prennent forme
“Il était une fois, encore”. Dans l’exposition de Matthieu Haberard (né en 1991, Paris), il est aussi question d’histoire, de celles qu’on s’invente et qu’on se raconte, qu’on se construit dans sa tête ou dans la cour de récréation. S’y ressent, en effet, une certaine liberté relative à la candeur enfantine, à cet âge où tout est encore possible. L’imagination n’a pas de limite, le transfert du mental au réel se fait avec tous les moyens du bord, comme dans un empressement de montrer, de raconter, de partager. Les œuvres ont attrait au bricolage, à un art presque naïf qu’on pourrait imaginer se développer dans un grenier. Dans le projet de Matthieu Haberard, il est question de valises mystérieuses et de vrais dragons peints sur des mains. L’artiste invite le public à participer à une enquête d’hurluberlu où il s’agit de comprendre comment des bagages sont arrivés dans la pièce. Et que contiennent-ils ? Les œuvres proposent tout autant des indices que des bribes d’une histoire sans queue ni tête. Il s’agit d’un jeu interactif et bricolé, entre roman faussement noir et fantasy inspirée.
Margaux Fontaine : enquêter, se retrouver
Margaux Fontaine (née en 1989, Arles) propose quant à elle de se reconnecter à la nature via des savoirs ancestraux et généralement oubliés. Un herbier dessiné s’étale sur les murs de l’exposition, indiquant les propriétés de ces plantes communes, que l’on peut facilement retrouver pour guérir des maux. C’est cependant davantage avec un rapport d’attention, plus qu’un rapport utilitaire, qu’elle nous invite à prendre conscience et mieux considérer le végétal. Dans un dessin central, les plantes sont reliées à telle ou telle partie de notre corps humain qu’elles peuvent guérir, ce qui nous renvoie à l’unicité du monde — tout est lié. L’artiste invite le public à prendre conscience de ce qui régit ciel et terre, à s’y relier. Espace dans l’espace, une grande toile est une invitation à se réunir pour faire des rites, prendre force à travers les rythmes qui gouvernent nos mondes, visibles dans les variations des saisons et les solstices. Les femmes peuvent en particulier puiser un nouveau pouvoir dans la forme du collectif ; ce fait est mis en exergue par un motif de fleurs et de figures féminines, réalisé en teinture végétale et qui donne force et significations à cet espace intimiste. •
Exposition “Mezzanine Sud 2023. Prix des Amis des Abattoirs”
Jusqu’au 28 avril 2024 at Les Abattoirs – Frac Occitanie Toulouse
76, allée Charles de Fitte – 31300 Toulouse
lesabattoirs.org