Curatée par Claire Le Restif, l’exposition « Une nature moderne » s’inscrit dans la continuité de la monographie dédiée à Derek Jarman par le Crédac, en 2021. En deux ou trois dimensions, la vingtaine d’artistes présentés aujourd’hui prolongent le journal intime du Britannique intitulé Modern Nature, retraçant le rôle fondamental du jardin qu’il envisageait comme lieu de vie, d’espoir et de résistance face au sida dont il était atteint.
Le travail curatorial relève d’un temps long d’échanges et de rencontres qui nourrissent le propos et la recherche. Cette exposition est issue de réflexions menées à propos d’artistes qui ont entretenu un lien avec le jardin, avec la terre. Elle s’inscrit dans la continuité de celle consacrée en 2021 à l’artiste britannique Derek Jarman (1942-1994) qui cultivait son propre jardin à Dungeness, dans le sud-est de l’Angleterre, lieu de sa guérison. Son titre, « Une nature moderne », fait d’ailleurs référence à celui du journal intime du cinéaste : comme lui, Claire Le Restif l’a composée à la manière d’un jardin. De nombreuses œuvres sont situées au plus près du sol, nous amenant à nous repositionner comme promeneurs, le regard ouvert sur la végétation. Au cœur de la dynamique du Crédac, les pratiques liées au réemploi, déjà bien installées, se révèlent d’autant plus au travers de ce projet curatorial. Notons également que les artistes exposés ont tissé de longues relations avec le centre d’art depuis leurs premières expositions.
Des photographies d’Howard Sooley témoignent de son expérience à Prospect Cottage, le jardin de Derek Jarman. Plus loin, l’installation Overflow de la jeune artiste Silvana Mc Nulty s’apparente à des formes d’ex-voto, des combinaisons d’objets de mesures récupérés, des associations à l’image d’organismes marins. On peut y percevoir un écho avec les objets de réparation que Derek Jarman avait fabriqués dès 1986. Telle une gardienne des lieux, la sculpture Enkidu et le Chacal de Lin May Saed associe la figure de l’homme et de l’animal au même niveau. Guillaume Aubry, lui, a fait l’acquisition d’une parcelle de forêt sur laquelle est bâtie une maison en A, un projet au long cours. La maquette de ce lieu de vie s’apparente à une œuvre vivante, petit jardin d’arbres de petites échelles. Ce projet relève d’un fort engagement politique et sociétal et tend à favoriser la préservation d’une biodiversité, si essentielle face aux bouleversements causés par le changement climatique. Continuons notre chemin… Les sculptures de Tony Matelli jouent sur une forme de trompe-l’œil : des plantes spontanées réalisées en bronze peint, face auxquelles nous pouvons être trompés et croire à des véritables espèces qui auraient poussées dans les anfractuosités du mur. Notre regard est ensuite attiré par l’œil inscrit dans le nœud d’un morceau de chêne récupéré par Daniel Steegmann Mangrané : une certaine présence animale semble nous regarder. Ce qui nous engage également à envisager les sensations que ressentent les arbres. La photographie d’un hibou de Jochen Lempert accrochée plus en hauteur veille et nous observe, nous incitant à cohabiter avec les espèces sauvages. Nous retrouvons cet oiseau au fil du parcours et sur la troisième image, celui-ci ferme les yeux.
Claire Le Restif, directrice du Crédac, s’interroge sur le rôle des centres d’art et sur les projets qui tissent des relations entre l’art et les autres disciplines, permettant des ouvertures avec d’autres mondes. D’où l’invitation faite à Sophie Kaplan, directrice du centre d’art contemporain La Criée à Rennes et sa collaboration avec Léa Muller, l’artiste et paysagiste-forestière qui a mené une résidence de recherche. L’installation L’art et la forêt confondus rend compte de leurs discussions et d’autres échanges avec des chercheurs, des voisins, des agriculteurs, des chasseurs, des élèves et étudiants. On peut y voir une sélection de cartes, d’images, de textes et des objets créés durant ce temps d’expérimentation. Le ravitaillement à Gavray-sur-Sienne dans la Manche est également inspirant. L’art y croise les pratiques agricoles. Noémie Sauve y fut en résidence et ses dessins rendent compte de dialogues avec une éleveuse bovine et un maraîcher bio. David Horvitz a lui aussi créé un jardin sur un terrain vacant à côté de son studio à Los Angeles. Sa proposition faite pour « Une nature moderne » est une série de photographies témoignant du voyage d’une pierre en béton jusqu’à ce jardin : une manière de se relier à ce lieu inspirant.
Dans la deuxième salle du centre d’art, nous sommes attirés par les photographies, portraits de plantes de Pierre Joseph, réalisées à la suite de sa découverte des planches de Pierre Joseph Redouté. Le projet 10 pains d’argile recyclée de Kenza Brend peut également aiguiser la curiosité des visiteurs : un processus de transformation d’une argile stérile en terre fertile, qu’elle a ensuite conservé et mise en sacs précieusement pour les proposer aux visiteurs afin qu’ils puissent enrichir leur jardin. Ce geste artistique sollicite l’espoir de possibles réserves de biodiversité qui pourraient s’installer. Dans la dernière salle, Untitled – after Stella – The mothership, le vaisseau mère d’Yto Barrada est réalisée à partir de teintures naturelles fabriquées dans le jardin éco-féministe qu’elle a créé à Tanger, un lieu où elle cultive des plantes tinctoriales, tel un ilot de résistance, d’accueil et de transmission de pratiques et de savoir-faire. À proximité, la tapisserie de Suzanne Husky intitulée Les oiseaux semant la vie nous rappelle le symbole du paradis, avec la présence d’une diversité d’oiseaux qui dispersent les graines, transportent la vie, régénérant ainsi les environnements. L’arrivée d’éoliennes au loin perturberaient l’harmonie de la vie de ces espèces.
Chaque œuvre est ici porteuse de récits d’engagements au long cours, de vécus porteurs de sens, d’expériences sur différents terrains, où résister et trouver des possibilités de restaurer les écosystèmes. Quelles relations avec la nature avons-nous et quelle place laissons-nous à la végétation spontanée et au monde animal ? Telles sont les interrogations que soulève cette exposition. Les artistes, certains créateurs de jardins, prennent le temps d’entretenir des relations avec leur environnement. Leurs gestes contribuent à fertiliser des terrains et sont porteurs de nouvelles façons de vivre. •
Exposition « Une nature moderne »
Commissariat : Claire Le Restif
Jusqu’au 29 juin 2025 au Crédac
1, place Pierre Gosnat – 94200 Ivry‑sur‑Seine
credac.fr

Vue de l’exposition « Une nature moderne », Crédac, Ivry-sur-Seine, 2025. Tony Matelli, Weed #30 & Weed #10, de l’ensemble “Abandon”, 2007. Courtesy de l’artiste. Collection du Frac Bretagne. Daniel Steegmann Mangrané, Bark (détail), 2024. Courtesy de l’artiste et Mendes Wood DM, (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York). Jochen Lempert, Eule 3, 2019. Courtesy de l’artiste & ProjecteSD (Barcelone). © Adagp, Paris, 2025. © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Daniel Steegmann Mangrané, Bark (détail), 2024. Courtesy de l’artiste et Mendes Wood DM, (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York). © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

David Horvitz, Garden rockrock rock rock rock rock rockrock rock rock rock rock rockrock rock rock rock rock rockrock rock rock rock rock rockrock rock rock rock rock rockrock rock rock rock rock rock garden, 2024. Courtesy de l’artiste & galerie Cherte Lüdde (Berlin). © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Vue de l’exposition « Une nature moderne », Crédac, Ivry-sur-Seine, 2025. Lin May Saeed, Enkidu and Jackal, 2007. Courtesy The Estate of Lin May Saeed ; Chris Sharp Gallery (Los Angeles) ; Jacky Strenz (Frankfurt/Main). Silvana Mc Nulty, Overflow, 2022-2025, fil de coton, laine, perles, métal, plastiques, caoutchouc, coquillages. Courtesy de l’artiste et galerie Florence Loewy (Paris). © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Léa Muller & Sophie Kaplan, L’art et la forêt confondus (détail), 2023‑2025. Courtesy des artistes & La Criée centre d’art contemporain, Territoires EXTRA, Ministère de la culture– Drac Bretagne. © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Guillaume Aubry, La Mare au diable, 2025. Courtesy de l’artiste © Adagp, Paris, 2025 © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Guillaume Aubry, La Mare au diable (détail), 2025. Courtesy de l’artiste © Adagp, Paris, 2025 © Le Crédac. Photo : Marc Domage.

Vue de l’exposition « Une nature moderne », Crédac, Ivry-sur-Seine, 2025. Pierre Joseph,#pierrejosephredouté, Lys dejersey (amaryllis belladonna),2017. Courtesy de l’artiste & Air de Paris (Romainville) © Adagp, Paris, 2025. Jochen Lempert, Eule 2, 2019. Courtesy de l’artiste & ProjecteSD (Barcelone) © Adagp, Paris, 2025. Daniel Steegmann Mangrané, Bark, 2024. Courtesy de l’artiste et Mendes Wood DM (São Paulo, Bruxelles, Paris, New York). Kenza Brand, 10 pains d’argile recyclée, 2024. Argile recyclée, terreaux, compost, sacs papier, fils, tirages numériques, dimensions variables. Courtesy de l’artiste. © Le Crédac. Photo : Marc Domage.