On a aimé : un Nouveau Printemps curaté par Kiddy Smile

À Toulouse, le festival de création contemporaine Le Nouveau Printemps invitait ces dernières semaines Kiddy Smile à poser son regard sur l’avant-garde artistique par le prisme relationnel et émotionnel. Entre cartes blanches et expositions, sélection de trois temps forts qui nous ont marqués.

Après avoir confié sa programmation à la designer matali crasset en 2023 puis au cinéaste Alain Guiraudie en 2024, le Nouveau Printemps continue son ouverture à la pluralité des arts en invitant Kiddy Smile en tant que commissaire de cette nouvelle édition. Musicien, DJ, figure incontournable de la scène ballroom et icône du voguing, il propose, en collaboration avec le directeur artistique Clément Postec, une programmation résolument queer, à la fois militante et festive, permettant à des voix rarement entendues d’occuper des espaces variés. 

À la Chapelle des Cordeliers

Le voguing est, plus qu’une danse, un espace permettant aux minorités LGBTQIA+ de célébrer leurs individualités tout en trouvant solidarité et bienveillance au sein d’un groupe. Cette culture née au carrefour des oppressions de genre, de race et de classe a ses propres codes et sa propre organisation, ses groupes appelés « houses » et composées d’une « mère », de ses « enfants » etc. En somme, de sa famille de cœur, de sa famille choisie. Avec l’exposition « A house should be a home », Kiddy Smile a convié sa « house » à poser dans les pièces des maisons fictives de magasins IKEA, donnant une idée non conventionnelle de la famille parfaite, via des photographies audacieuses, affichées sur les murs de l’ancienne chapelle toulousaine. Au centre, était projeté pour la première fois l’émouvant film Mother, une co-réalisation de Kiddy Smile et Anne Cutaia qui permet de comprendre, à travers le parcours de la pionnière de la scène voguing à Paris Nikki Gorgeous Gucci, l’importance que cette culture peut avoir dans des trajectoires de vie. La Chapelle des Cordeliers accueillait également une « Pietà » reproduite par Roméo Mivekannin, l’artiste prenant le double rôle de peintre et modèle en remplaçant le sujet central par une représentation de son propre visage, proposant ainsi une relecture de l’histoire de l’art à l’aune de son autobiographie. Plusieurs de ses pièces jalonnaient différents lieux investis par l’exposition « Faire famille », sous le commissariat de Yandé Diouf.

Vue de l’exposition « A house should be a home », Chapelle des Cordeliers, Toulouse, 2025. © Le Nouveau Printemps.

Vue de l’exposition « A house should be a home », Chapelle des Cordeliers, Toulouse, 2025. © Le Nouveau Printemps.

À la bibliothèque d’Étude et du Patrimoine

Dans la lumineuse nef de l’édifice art déco, se déployait un grand patchwork de tissu, pièce de Raphaël Barontini, représentation d’un homme gesticulant sous un arbre, les yeux fermés, devant un coq qui paraît l’écouter, tandis que d’autres figures volent dans le ciel. Au milieu des livres et des archives de la bibliothèque, ce « conteur créole » nous rappelle l’importance de la transmission orale dans l’histoire et la mémoire, à la fois collective et culturelle. C’est aussi de mémoire et de transmission, mais cette fois-ci lourde et familiale, dont il est question avec l’installation de Verena Paravel, Alice Diop et Penda Diouf : Est-ce que je peux pleurer avec toi ? Un titre qui cache une myriade d’autres questions : que faire d’un héritage trop lourd ? Comment restituer ce qui a été volé et ce qui tombe entre nos mains — en l’occurrence les photographies parfois insoutenables de corps de femmes et de filles, dénudés, sexualisés, mis en esclavage, excisés ? À qui appartiennent ces photographies ? Premier geste dans une tentative de réparation, les images sont déposées dans une boîte qu’on peut ouvrir, sous une enceinte ; elles s’enveloppent de paroles, la voix et les mots pour atténuer le choc. Dans la même pièce, Mariana Kostandini s’intéressait aux présences des personnes qui sont parties et dont on tente de retenir le souvenir à l’aide d’objets, de photographies, de portraits encadrés dans les maisons. L’artiste illustre le mot albanais mall signifiant la nostalgie, le manque de quelqu’un ou de quelque chose. C’est aussi là que la famille se fait : dans sa propre mémoire générationnelle, dans ce qu’elle essaye de maintenir des personnes et des liens qui les unissent.

The One We Lost © Mariana Kostandini

Au Lieu Commun

Au sein de l’exposition « Faire famille », une série de Roméo Mivekannin attirait de nouveau l’attention : des cartes postales agrandies représentant des corps de femmes noires, dénudées, photographiées sans leur consentement pour servir aux échanges épistolaires — et aussi voyeuristes, sexistes et racistes — des colons. Le visage de l’artiste apposé sur ces corps est un geste pour préserver les sujets et leur intégrité précédemment bafouée. Plus loin, étaient présentés deux des tissages de Marie-Claire Messouma Manlanbien. Tisser, c’est à la fois composer, écrire dans le vide, inventer, rassembler des morceaux épars, des matières variées, raccommoder et réparer, trouver de nouveaux chemins, supposer des assemblages, cheminer dans un espace. C’est aussi, pour l’artiste, une manière de trouver l’équilibre dans ce qui fait famille et ce qui fait monde. Au même étage, mais dans une autre exposition — « Famille de chœur », rassemblant des œuvres d’artistes diplômés de l’isdaT — les « peintures sympathiques » d’Aria Maillot jouaient aussi d’un jeu de disparition/apparition. En regardant la toile, nous avions peine à discerner ou deviner des figures, dont les contours et les formes, peints à la gouache blanche, sont révélés seulement quand l’artiste le souhaite, à l’occasion de performances où elle y déverse du vin rouge : le sang qui nourrit et anime la toile… qui n’en finit pas pour autant de se dérober à nos yeux. 

Vue de l’exposition « Faire famille », Lieu Commun, Toulouse, 2025. © Le Nouveau Printemps.

Vue de l’exposition « Faire famille », Lieu Commun, Toulouse, 2025. © Le Nouveau Printemps.

D’une exposition, d’un lieu à un autre, les œuvres ont souvent ce point commun d’une certaine tension entre ce qu’elles cachent, ce qu’elles offrent à interpréter et ce qu’elles montrent. Elles composent un point d’équilibre afin de redonner visibilité et dignité à des corps, des voix, des savoir-faire et des histoires marginalisées ou tues. On comprend alors le besoin de joie et de fête, la nécessité de célébrer ensemble — ce qui fut fait avec le week-end d’ouverture du Nouveau Printemps, pendant lequel Kiddy Smile et ses artistes invités ont fait vibrer Toulouse.


Le Nouveau Printemps
lenouveauprintemps.com


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