Par Laëtitia Toulout
PORTRAIT // Lunettes de soleil, noix de coco, bermuda, tuba, appareil photo, bikini, coup de soleil… Les pièces d’Agathe Brahami-Ferron, brillantes et colorées, transportent dans une ambiance de vacances estivales. L’artiste exerce un véritable travail sociologique en construisant un miroir grossissant de faits sociaux, concernant en l’occurrence, l’univers du tourisme de masse.
Les peaux en céramique des sculptures grandeur nature d’Agathe Brahami-Ferron sont modelées et rougeoyantes aux joues et aux genoux, les ventres et seins parfois gonflés ou tombants, les expressions, à demi souriantes ou figées, comme prises sur le vif puis retranscrites avec beaucoup de douceur. Si la jeune artiste s’intéresse à la société du paraître, elle retranscrit les imperfections comme des traits de caractères qui font tout le charme de ces personnages si différents, en taille comme en style. Georg Simmel, dans La Tragédie de la culture et autres essais (1988) a particulièrement décrit la double tendance que chaque individu tend à « fusionner avec son groupe social » et celle de « s’en dissocier individuellement ». Ainsi, pour le sociologue et philosophe, la mode « satisfait le besoin d’appui social tout autant que le besoin de distinction ». Deux opposés, deux fils, sur lesquels tire Agathe Brahami-Ferron avec des œuvres qui mettent en exergue tant la personnalité de chaque pièce que la sensation d’unicité qui s’extrait de cette sorte de communauté développée par l’artiste.
Le public lui-même, en évoluant dans ses expositions, peut ressentir au-delà des différences certains traits familiers avec les personnages : tel ou tel vêtement, la pratique du yoga, les marques de bronzage, les tâches de rousseur, une posture… L’artiste inclut chacun en imitant des attitudes et des objets (appareil photo, images Polaroïd, sushis, souvenirs…) et en contextualisant les scènes. Tout se joue alors entre la socialisation, qui nous rattache à des groupes et des pratiques, à la société, et à l’individualisation, processus de différenciation indispensable à la construction d’un regard extérieur et éventuellement critique. Si certaines particularités ici rejouées nous paraissent absurdes ou ridicules, c’est pourtant notre société commune — dont nous ne pouvons jamais réellement nous extraire — que nous voyons se dérouler : une société de consommation qui glorifie le souci (ou l’émoi) de soi, son propre bien-être, un esprit sain dans un corps sain.
Cette tension entre individu et culture se joue dès la pratique artistique : Simmel oppose en effet la sculpture qui « modèle symétriquement les deux moitiés du visage » à la peinture qui « révèle d’emblée sa nature plus individualiste ». Les pièces sont ici sculptées et peintes, et si la sculpture dévoile le geste de l’artiste, la peinture donne matière et vie aux pièces. Dans ce miroir déformant, certains éléments détonnent : les membres coupés d’un vacancier, les mains anthropomorphes d’un chien, des algues et coquillages en guise de chevelure… Alors, la sociologie oscille vers la fantasmagorie. « C’est parce que l’art, pour être parfois semblable à la vie, ne fusionne jamais avec l’existence réelle, qu’il demeure, grâce à la spécifié de sa nature, l’un des outils les plus précieux dans l’élaboration de sociétés humaines. », comme le précise Jean-Marc Huitorel dans Une forme olympique – Sur l’art, le sport, le lieu (2017). //
Agathe Brahami-Ferron
@agathe_brahami_ferron