Coller à la réalité est le propre de la photographie. Mais tous les photographes n’utilisent pas la même colle pour décrire le monde. Il y a ceux, d’une part, qui adhèrent au réel avec leurs appareils et puis de l’autre, ceux qui recomposent l’environnement pour ouvrir de nouvelles perspectives. À Paris Photo, cette dernière catégorie a toute sa place sur les cimaises des galeries qui présentent des œuvres où le collage entre dans la fabrication des images.
Chez Spazio Nuovo (Rome, Italie) par exemple, Marco Maria Zanin (né en 1983, Italie), anthropologue de formation, crée des connexions entre les outils de la vie rurale de sa région d’origine, la Vénétie, avec des artefacts appartenant aux communautés qu’il a rencontrées lors de ses recherches en Amérique du Sud et au Portugal. Pendant le confinement, dans son studio, il a photographié des céramiques, des sculptures et des objets traditionnels pour sa série Soil Kinships. Une des photographies, Coroa Radial — qui veut dire « couronne » en portugais —, assemble deux tirages. « J’ai pris deux photos que j’ai faites des mêmes objets et je les ai assemblées avec du scotch bleu. Vous appelleriez ça un collage ? Peut-être que dans une certaine forme, ça l’est. Les objets sont des outils utilisés pour tisser, qui composés comme ça deviennent un ornement tribal », explique-t-il. Issues de la culture traditionnelle vénitienne, les navettes de tissage forment une couronne de plumes typique des peuples d’Amazonie : il suffit d’un bout de ruban adhésif pour inventer un objet. Et, surtout, pour créer des passerelles vers un nouveau monde sans frontières…
Dans le cas de Katrien de Blauwer (née en 1969, Belgique), représentée par les galeries Les Filles du Calvaire (Paris, France), et FIFTY ONE (Anvers, Belgique), le matériel photographique a carrément disparu. L’artiste belge, qui se fait aussi appeler « la photographe sans appareil », se contente de papiers, de colle, de ciseaux et de vieux magazines en noir et blanc des années 60 et 70. Puisant dans cette iconographie vintage, l’artiste assemble des morceaux de corps féminins (nez, jambes, mains, bouches) avec des images de paysages, de meubles, de nuages ou tout simplement avec des bouts de papiers monochromes. Privilégiant les petits formats, elle taille dans les images. Pour unifier le tout, elle ajoute des traits de pinceaux ou de pastel rouge, rose, jaune ou bleu sur ses collages. Il ressort, de ces petites compositions, une atmosphère intime plaçant le spectateur en position de voyeur. Objets de convoitise, chargés de mystère, les parties féminines découpées jouent avec l’érotisation du regard. Le collage est ici un prisme quasi cinématographique par lequel Katrien de Blauwer regarde les femmes. Et nous avec elle.
Dernier exemple, les natures mortes éblouissantes de l’Américain Daniel Gordon (né en 1980, États-Unis), présenté chez Huxley-Parlour (Londres, Royaume-Uni) et édité par Chose Commune. Dans ses compositions aux couleurs pop, le collage est une forme de bricolage qui lui permet de créer des objets en volumes. Daniel Gordon collecte des photographies sur Internet, les imprime et redonne ensuite de l’épaisseur aux images sélectionnées, en studio. Images de fruits, vases et plantes issues du web se transforment alors délicatement en sculptures de papier. Enfin, dernière étape, Daniel Gordon photographie ses compositions en plusieurs dimensions. Ainsi, de la 2D, il passe à la 3D pour revenir en 2D, laissant visible les imperfections de sa technique. Sur ses photographies, coupes de fruits, vaisselle, plantes, visages ou même baskets apparaissent cabossés, un peu froissés. Plis, déchirures et coutures du papier ne sont pas cachés, comme pour mieux suggérer la fragilité et l’imperfection des représentations. Proche de la peinture ou du dessin, son style bricolé est sous-tendu par l’énergie de toutes ces photographies mises bout-à-bout.
Armés de colle, de scotch et de ciseaux, les artistes collagistes, en héritiers des pratiques surréalistes, sont des participants actifs de l’image. À l’heure du déclin de l’imprimé, ils redonnent chair et vie au papier, berceau naturel de la photographie. •
Paris Photo
Du 10 au 13 novembre 2022
Grand Palais Éphémère – 2, place Joffre 75007 Paris
parisphoto.com