Par Henri Guette
TALENTS // Pour son édition 2018, Artagon met le cap à l’est : l’exposition internationale des étudiants en école d’art a sélectionné une trentaine d’artistes de Moscou à Kiev en passant par la Pologne. Une jeune création à découvrir durant un mois aux Magasins généraux à Pantin.
Jean Claracq
École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (France)
Peintre de miniatures et d’icônes, Jean Claracq s’attache aux images jusqu’aux moindres détails. Ses modèles lui viennent des réseaux sociaux, comme pour Grindr’s Hookup trouvé sur Instagram, mais ses tableaux résonnent de mille autres références savantes. Il s’amuse des niveaux de lectures possibles en virtuose et dépeint dans des compositions urbaines notre relation aux écrans et à la solitude avec une précision de chirurgien. Le reflet d’un photographe prend la place attendue de celle du peintre, l’artiste en retrait a trouvé le moyen de mettre en scène le monde contemporain.
Hamid Shams
École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (France)
Hamid Shams ne cherche pas à épargner aux visiteurs la violence du monde. Son installation, ironiquement nommé Comfort Zone, est baignée d’une lumière rouge qui rappelle autant la chambre photographique que la darkroom. Un sling recouvert de fourrure et du papier photographique baignant dans une solution chimique prolongent l’ambiguïté. Il s’agit de créer un espace de révélation : les photographies livreront à la fin de l’exposition une image de ce qu’il se sera passé tandis que le sling en creux garde l’empreinte du corps qui y aura trouvé son plaisir.
Ophélie Demurger
École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon (France)
Qu’est-ce qui fait une star ? Plan par plan, Ophélie Demurger reprend le clip Stay de Rihanna à la recherche d’indices. Elle en livre une face B, où son corps se substitue à celui de la chanteuse de façon troublante. Elle connaît les paroles par cœur, elle est capable de mimer jusqu’au moindre geste le personnage de l’amoureuse délaissée. L’artiste travaille d’après des chansons sentimentales et explore la dimension performative des interprétations de Barbara ou encore de Céline Dion. Fan ou pas, au travers de ses vidéos et performances, elle pousse le mimétisme jusqu’au jeu.
Ula Lucińska & Michał Knychaus
Université des arts de Poznań (Pologne)
Influencés par la culture punk, Ula Lucińska & Michał Knychaus ont développé un univers tranchant et violent à l’image de leur dernière pièce Sky is the limit. Keep pressing on. À l’origine ,cette installation en forme de chapelle barbelée accompagnait le lancement de leur album de musique électronique. Elle symbolisait alors le sentiment d’être pris au piège d’un capitalisme exacerbé, la frustration de voir l’endettement devenir endémique en Pologne et le pays se refermer dans une bulle matérielle. Elle prend en Europe, de part l’effet de frontière, avec les vêtements qui pendent de part et d’autre une toute autre signification.
Julie Monot
ECAL – École cantonale d’art de Lausanne (Suisse)
Julie Monot montre plusieurs visages et s’amuse des masques comme autant de possibilités de trouble. Elle a moulé à sa propre image un masque de silicone mais suffit-il de l’endosser pour devenir l’artiste ? Au-delà de la reconnaissance faciale, elle projette et performe des personnages dans la salle d’exposition : une femme tout en cheveux, un fétiche bleu. La part du monstre doit nous aider à comprendre la relation entre nature et culture ; les sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on croit...
Kate NganWa Ao
Université des arts de Poznań (Pologne)
Kate Ngan Wao travaille souvent d’après souvenirs, des impressions fortes qui lui sont restées, des images d’enfance. Né à Macao, elle a beaucoup voyagé avant de s’établir en Pologne et de se confronter au regard de la communauté locale. En assemblant différents matériaux, de la vidéo ou des objets de récupération elle crée des symboles qui expriment les difficultés d’intégration lié à sa couleur de peau ou encore la nostalgie de son île natale. Au travers de New land, but finding no home, elle rappelle les constants travaux d’expansions sur la mer de Macao et malgré tout la difficulté à s’y procurer un chez soi.
Alma Lily Rayner
Académie des beaux-arts de Prague (République Tchèque)
On peut reconnaître des objets tout à fait quotidiens dans les tirages numériques d’Alma Lily Rayner. Une cuillère, un savon, un rasoir… Des formes 3D rassemblées sous le titre Some things my father put inside my vagina qui changent notre regard sur l’espace domestique. Au travers de ce travail autobiographique et minimal, l’artiste parle d’une guerre silencieuse. Le traumatisme du viol par le père n’est pas exploré de façon frontale mais suggéré par l’aspect fantomatique de symboles sexuels, préservatifs ou sex toys. Une manière de ne plus fermer les yeux sur les violences invisibles.
Stefanie Schwarzwimmer
Académie des beaux-arts de Vienne (Autriche)
Comme filmées au téléphone, les vidéos de Stefanie Schwarzimmer entretiennent le trouble entre le réel et la fiction. Dans Silent revolution, que l’on a du mal à croire entièrement réalisé en 3D, on observe comme un fil de direct les réactions de personnes du monde entier face à une assiette qui tourne sur elle-même. La narration calquée sur le rythme de l’information en continu induit au-delà des différences culturelles une réflexion sur les médias de masse. En partant de l’anecdote, du survol d’une ville par un oiseau ou du buzz, la vidéaste nous alerte sur le nouveau régime des images.
Michał Soja
Académie des beaux-arts de Cracovie (Pologne)
Une mine sous les eaux, un hôtel presque déserté, un mort-vivant : il y a dans le travail vidéo de Michał Soja comme un air de fin du monde. On ne peut entendre l’ouvrier au travail dans Ladies and Gentleman! mais l’image nous hante. La figure du zombie, depuis qu’elle a intégré l’imaginaire hollywoodien a toujours été liée à la critique du capitalisme. Le personnage est esclave d’un système qui l’encourage sans cesse à produire plus sans lui prêter la moindre attention. Pour autant, par la cascade en arrière-plan, nous ne sommes jamais très loin d’un point de bascule. Une façon d’envisager l’entropie comme une libération.
Ondřej Vicena
Académie des beaux-arts de Prague (République Tchèque)
Passionné de cinéma, Ondřej Vicena aime à reconstituer l’esthétique 90 des productions qu’il regardait enfant. Il nous entraîne à sa suite dans le décor de Wars of Colour, un film tchèque qui se déroulait dans un immeuble moderniste. Au travers d’une installation immersive dont il a lui-même composé l’univers sonore, nous découvrons les traces de cette fiction dans le pays actuel, à moins, entres les serveurs réseau et les miroirs, que ce ne soit l’inverse… En demandant à l’acteur principal d’endosser une dernière fois son rôle, l’artiste en metteur en scène se réapproprie l’histoire à laquelle il met un point d’honneur.
ARTAGON.IV – Heading East!
Du 12 octobre au 11 novembre 2018 at Magasins généraux
Dock B, 93500 Pantin
www.artagon.co