“Dust Proof”, première exposition personnelle de Gal Schindler (née en 1993, Tel Aviv), éclaire l’obsession de l’artiste pour la représentation des corps. Son approche picturale absorbe une douce mélancolie, révélée par un ensemble de signes iconographiques liés au champ émotif.
Point de fuite au fond de la pièce, Widening Circles (2023) appelle le regard, son imposant format invitant à garder les yeux rivés sur la douce nuance de bleu, presque parme, qui inonde la toile. À tel point qu’on ne remarque que dans un second temps que des lignes carnées dessinent un corps alangui, flottant à la surface de la peinture. En parcourant les œuvres réunies dans “Dust Proof” chez Sultana, on comprend que Gal Schindler aiment tracer des corps au pinceau comme si elle maniait le crayon ou la craie grasse, avec la même souplesse signifiant un soin apporté au maintien des lignes, à la suave ampleur que peuvent prendre certaines courbes, donnant aux toiles, telle Submariner 2 (2023), un aspect langoureux qui laisse au visiteur l’impression d’avoir rencontré une sirène.
Comment alors expliquer qu’après avoir observé ces corps de créatures fantastiques, on éprouve la sensation d’être passé à côté de quelque chose, d’avoir un train de retard sur l’image qui nous toise, de ne pas avoir observé assez attentivement ? L’action se tramerait-elle dans les marges de la peinture ? Dans le coin supérieur gauche de Submariner (2023), une horloge surplombe la composition, alors qu’au pied de l’image, un flux de couleurs tressées les unes aux autres permet au regard de se repérer dans l’espace pictural en dégageant une perspective. En sus des personnages dessinés, les toiles se composent d’éléments peints formant un alphabet symbolique, détaché de toute forme de représentation naturaliste. L’horloge est le signe du temps, les fruits et fleurs qui entourent les corps pointent vers la séduction et la jeunesse des figures, les vaguelettes donnent des indices quant au contexte aquatique des scènes représentées.
Mais ces signes visuels produisent aussi un autre effet, au-delà de leur charge symbolique, métaphorique ou poétique, qui rapproche les œuvres de la tradition surréaliste. Formes d’enjolivements, ils assurent une fonction décorative assumée, au cœur de l’histoire de la peinture, suppléant aux cadres dorés que l’on voit dans les musées, rappelant au regardeur le statut d’image des couleurs observées en référence au contexte de découverte, lié à l’expérience esthétique particulière qu’impose la visite d’une exposition. Il s’agit bien d’une image, d’une vision libre appliquée sur toile, d’un jeu de tracés, de formes et de couleurs, affranchi de toute volonté de représenter le réel. Les œuvres seraient autant de fenêtres ouvertes sur l’imagination de l’artiste. Les éléments de décor donnant la possibilité de pénétrer dans l’image et d’en sortir aussi vite, activant la pensée et l’imagination par ce mécanisme visuel. On est alors saisi de mélancolie en pensant aux cadres anciens qui permettent de sortir de l’image un instant, de s’égarer comme lorsque qu’on lève quelques minutes les yeux d’un livre passionnant pour mieux l’apprécier. Le cadre, comme la couverture du livre, est la frontière délimitant les allers-retours du visiteur entre fiction et réalité. Ainsi l’artiste définit-elle la peinture comme un objet décoratif dont le regard se saisit par mouvement de va-et-vient, poussant la métaphore jusqu’à rendre l’image palpable, comme dans Spring Box N°1 (2023), peinture en forme de coffret, image ornée autant que boîte à rêve. •
Exposition “Dust Proof” by Gal Schindler
Jusqu’au 22 juillet 2023 at Galerie Sultana
75, rue Beaubourg – 75003 Paris
galeriesultana.com