Chez Parliament, la peinture incendiaire de Natacha Donzé

Le monde brûle et brûlera ; Natacha Donzé l’expose. À la galerie Parliament, un sentiment de nostalgie post-humanité imprègne l’imagerie de l’artiste, codifiée par une mutation des signes anciens en langage contemporain.

Attention ! Le visiteur est d’emblée invité à prendre ses précautions. L’effet est autant provoqué par le brasier qui paraît s’être déclaré entre les murs du white cube de la galerie Parliament, que par une voiture au coloris orange agressif, garée juste en face de l’entrée. Dans les deux cas, d’intenses couleurs mettent l’œil aux aguets. À peine entré, les peintures de Natacha Donzé (née en 1991) agissent sur la rétine comme des panneaux de signalisation avertissant d’un danger imminent. En quelques grandes toiles peintes de pourpre, de vert cadavérique et de mauve, l’artiste propose une expérience immersive, au cœur des sentiments d’urgence et de danger latents auxquels on s’habitue aujourd’hui bien trop rapidement. 

Sur plusieurs de ces amples formats, on aperçoit une envolée d’oiseaux aux plumes écarlates sous les fines couches de peinture jetant un voile opaque sur les châssis. Dans Bird of prey, murmuration (2024), des migrateurs traversent le bas de la toile d’un mouvement courbe créant une impression de perspective dans une composition autrement très plane. De la même manière, System of influence (sigil) (2024) est quadrillé à plat comme un Mondrian. À la différence près que Natacha Donzé y dépose le motif d’une brûlure béante, encore fumante. L’artiste nous laisse entendre que l’abstraction superficielle sent le roussi. En ce sens le rouge, couleur vitale s’il en est, réhausse le caractère sulfureux des toiles tant on a l’habitude qu’il irrigue les plaies, signale un danger, ou encore déclare chez certains oiseaux des dispositions à l’accouplement. Invitation au regain ? En tout cas, Natacha Donzé dresse l’état des lieux d’un monde qui brûle.

Cet espoir de renouveau traverse l’exposition à l’endroit où Donzé refuse de se complaire dans un climat d’inquiétude défaitiste. Ce qui nous était apparu comme de l’alarmisme nous semble désormais mettre en scène une politique de la terre brûlée, dont l’artiste interroge le caractère dévastateur. Car les oiseaux sont également symboles d’espoir, et leurs couleurs résistent à la noirceur des ruines que l’on devine en hors champ des œuvres. Warning signal (2024), tableau cramoisi où des cendres pailletées de parme glissent sur le regard grenat, plein phare, d’une bête menaçante, est lui aussi une mise en garde face à l’obscurantisme. On pourrait affronter la menace en lui assénant des questions. Et un certain système pictural, géométrique, mis en berne par les flammes, est pareillement à interroger. Les toiles de l’incendiaire Natacha Donzé sont donc des hypothèses, des équations irrésolues. En l’espèce Blind eye (2024), peinture-sculpture imitant un vocabulaire mathématique composé d’un long signe + et d’un -. La critique des catégories formelles comme un phare dans la nuit, la rencontre entre peinture et sculpture — reçue en héritage du minimalisme — se présente tel un flambeau d’espoir, porte de sortie placée en horizon dans la galerie. Il n’est plus possible d’ignorer l’angoisse quand la sonnette d’alarme retentit si fort, mais la conclusion reste à écrire, les formes à inventer, à peindre et à calculer. “Memory Beacon” — littéralement “balise mémorielle” — signale un point de bascule esthétique et politique, charge aux visiteurs de regarder la menace droit dans les yeux. 


Exposition “Memory Beacon” by Natacha Donzé
Jusqu’au 6 juillet 2024 at Parliament
36, rue d’Enghien – 75010 Paris
parliamentgallery.com


Vue de l’exposition “Memory Beacon” de Natacha Donzé, Parliament (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Natacha Donzé, Memory-resident (persistent), 2024, acrylique sur toile, 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Vue de l’exposition “Memory Beacon” de Natacha Donzé, Parliament (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Natacha Donzé, Warning signal, 2024, acrylique sur toile, 180 x 130 cm, 2024. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Vue de l’exposition “Memory Beacon” de Natacha Donzé, Parliament (Paris), 2024. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Natacha Donzé, Bird of prey, backdoor, 2024, acrylique sur toile, 180 x 90 cm. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Natacha Donzé, Blind eye, 2024, acrylique sur bois, 95 x 240 x 10 cm. Courtesy de l’artiste et de Parliament. Photo : Romain Darnaud.

Chez Parliament, la peinture incendiaire de Natacha Donzé