Qui était José Leonilson, figure méconnue de la scène queer au Brésil exposée chez Sans titre ?

N’est-ce pas aussi le rôle des galeristes que d’œuvrer à la redécouverte d’artistes méconnus ? C’est ce que propose la galerie Sans titre à Paris, avec la commissaire d’exposition Georgia René-Worms, en mettant au jour le travail de l’artiste brésilien José Leonilson. À ce détail près qu’au Brésil, ce dernier n’est pas tout à fait un inconnu.

Né à Fortaleza en 1957, José Leonilson grandit à São Paulo auprès d’un père marchand de tissu et d’une mère couturière. De quoi lui donner dès le plus jeune âge le goût du vêtement et de la mode, celui de la broderie également, qu’il pratiquera toute sa carrière, notamment à la fin de sa vie. Mais pour l’heure, il n’a que sept ans, nous sommes en 1964 et la dictature militaire s’installe à la tête du pays. Suivant les préceptes d’un pouvoir autoritaire qui entend défendre l’identité chrétienne du Brésil, le petit garçon reçoit une éducation catholique à la morale rigoureuse. De ces jeunes années, quelques traces jonchent les feuilles volantes que l’artiste emplira de symboles religieux. C’est le cas de manière explicite dans un dessin de 1985, Objetos de mártir, sur lequel on reconnaît un grill, une épée et une roue dentée. Chez Leonilson cependant, la référence est à double tranchant et signale peut-être surtout la difficulté d’être un jeune homosexuel dans la société brésilienne des années 1980. Elle joue également de la parenté entre l’iconographie du supplice et les formes sado-masochistes d’une sexualité libérée des carcans moraux. Entre objets de torture et de plaisir mêlés, l’artiste exploite toute l’ambiguïté des motifs qu’il invoque. 

Alors qu’il exécute cette œuvre, la dictature prend fin. Leonilson a vingt-huit ans. L’année précédente, en 1984, le commissaire Marcus Lontra avait fait l’événement en rassemblant plus de cent jeunes artistes pour son exposition « Onde está você, geração 80 ? » à l’École des Arts visuels du Parque Lage de Rio de Janeiro. « À l’épuisement du modernisme et au soutien théorique excessif qui confinait l’art dans une sorte de château académique uniquement pénétré par les esprits élevés, il y avait une volonté de faire de l’art le lieu des émotions, un chaudron bouillonnant d’odeurs, de plaisirs et de sensations », résume alors Marcus Lontra pour qualifier cette « Geração 80 » (la Génération 80), dont les pratiques diverses répondaient toutes à une farouche volonté d’ouverture et un besoin de tourner la page de l’hermétisme des décennies précédentes. Les couleurs explosent et les formes deviennent plus sensuelles ; l’accident et l’imperfection sont accueillis comme des méthodes de création ; les supports plus fragiles, tels que le papier ou la toile lâche, permettent un geste plus spontané et souvent plus personnel. Loin de se cantonner à Rio de Janeiro, ce vent nouveau traverse tout le pays. À São Paulo, un groupe aux aspirations similaires se constitue, dont Leonilson qui étudie l’art à la Fundação Armando Alvares Penteado fait rapidement partie. 

Autobiographique et sentimentale, l’œuvre de José Leonilson le fut très certainement. Ses dessins accompagnés de poèmes, ses broderies sur tissus légers, ses entrelacs de signes et de silhouettes graciles que l’on retrouve ici chez Sans titre composent ensemble un journal plus qu’intime, dans lequel l’artiste se raconte tout autant qu’il s’invente. Il nous y parle d’amour et de rendez-vous manqués. Ici, l’histoire d’un homme aux yeux verts aperçu dans un avion : « je ne t’ai pas embrassé mais mon désir était comblé » (Mr. Transoceanic Express, 1990). Là, cet autre garçon, « qui se souvenait de la création du monde » mais ne voulait pas dire où il habite (Projeto para Catálogo, 1990). À partir de 1991, les thèmes de la mort et de la peur prennent de plus en plus de place. Il n’a que trente-quatre ans lorsqu’il apprend qu’il est atteint du VIH. Tout comme on peut l’observer chez le cinéaste britannique Derek Jarman ou l’écrivain français Hervé Guibert, ses contemporains, la maladie infuse dans sa pratique aussi bien que dans son quotidien. Affaibli, il abandonne la peinture pour se consacrer presqu’exclusivement à des œuvres brodées, sur des formats plus petits.

Disparu en 1993, José Leonilson fut récompensé pour ses contributions par la São Paulo Association of Art Critics, à titre posthume, en 1994. Bien que présent dans plusieurs grandes collections publiques (notamment le MoMA à New York et le Centre Pompidou à Paris), sa première grande rétrospective européenne n’a lieu qu’à l’hiver 2020-2021 au KW Institute; à Berlin. En France, on ne connaît pas son œuvre, qui n’y fut exposée qu’une fois de son vivant, en 1985, lors de la Nouvelle Biennale de Paris. Nous ne pouvons donc que remercier la commissaire Georgia René-Worms d’avoir découvert son travail par hasard en 2017, au musée de l’Americas Society à New York, où se tenait la première rétrospective de l’artiste aux États-Unis. La remercier surtout de l’avoir ramené en France et de nous offrir l’opportunité de découvrir cette voix si singulière de la scène brésilienne. À noter que pour l’occasion, Leonilson n’est pas seul. La galerie Sans titre propose en effet de faire dialoguer son univers avec celui de Sequoia Scavullo (née en 1995). Même sensibilité à fleur de peau, mêmes formes au bord de l’abstraction, même approche narrative et poétique. Aussi, le même corps malade, Scavullo étant atteinte de la maladie de Lyme, dont elle évoque à travers ses peintures et ses vidéos, à la fois les souffrances et les techniques de soin alternatives. Comme chez Leonilson, la fiction semble délivrer de ce à quoi la vie condamne. Après tout, et c’est cela qu’il faut comprendre dans l’hésitation qui traverse l’œuvre de ces deux artistes, ce que nous imaginons et rêvons n’est pas moins réel que ce que nous vivons. Une vérité s’y trouve qui se pense par le cœur.


Exposition « “Les pensées du cœur”,
Résonner avec José Leonilson, Sequoia Scavullo »
Commissariat : Georgia René-Worms
Jusqu’au 7 juin 2025 à la galerie Sans titre
13, rue Michel le Ccomte – 75003 Paris
sanstitre.gallery


Vue de l’exposition « “Les pensées du coeur”, Résonner avec José Leonilson, Sequoia Scavullo », galerie Sans titre, Paris, 2025.

José Leonilson, [A noite que desce], 1981, aquarelle, stylo permanent, crayon de couleur et feutre sur papier, 39,5 × 53 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

José Leonilson, [Truth; fiction], 1990, fil et soie sur lin, 31,5 × 26,3 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

José Leonilson, Do. Don’t have work it., 1991, fil, acrylique, toile et boutons sur voile, 49,5 × 36 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

Vue de l’exposition « “Les pensées du coeur”, Résonner avec José Leonilson, Sequoia Scavullo », galerie Sans titre, Paris, 2025.

José Leonilson, O pescador de pérolas (Pearl Fisher), 1991, fil et peinture métallique sur voile, 45,2 × 39,2 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

Vue de l’exposition « “Les pensées du coeur”, Résonner avec José Leonilson, Sequoia Scavullo », galerie Sans titre, Paris, 2025.

Sequoia Scavullo, If only I could sit tight inside the eagles claws, 2025, huile sur toile, coton imprimé, papier holographique imprimé, 150 × 150 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

Sequoia Scavullo, Ruler of the land, 2025, vidéo 16 mm, 12 min. Courtesy de l’artiste et de la galerie Sans titre, Paris.

Qui était José Leonilson, figure méconnue de la scène queer au Brésil exposée chez Sans titre ?