Sous le commissariat de Jessica Morgan, directrice de la Dia Art Foundation, la Bourse de Commerce accueille une exposition d’envergure sans précédent dédiée à l’art minimal, à l’appui des chefs-d’œuvre de la Collection Pinault.
Un an après l’Arte Povera, Pinault Collection poursuit ses focus historiques en invitant Jessica Morgan à concevoir une exposition sur l’art dit « minimal ». Un terme dont la directrice de la Dia Art Foundation n’hésite pas à ouvrir le sens, afin d’en démontrer toute la diversité et la vitalité. Par son titre radical et épuré, l’exposition « Minimal » dit peu de chose de son contenu. Et pour cause. Elle ne cherche ni à circonscrire un style, ni à définir un courant. Ceux qui en attendraient une anthologie du seul Minimalisme américain sont prévenus, il est ici question d’autre chose. Tout d’abord, d’une aspiration, à la simplicité et à l’économie de moyens. Ensuite, d’une certaine radicalité, non pas ascétique, mais qui aurait la douceur du sable, du papier que l’on plie, de l’odeur de la cire. Il s’agit enfin d’une disposition, une célébration de la retenue, un répit en ces temps agités.
Cette ouverture du thème à diverses pratiques et scènes internationales est assumée dès la première salle, par la mise en perspective de deux univers, sinon opposés, du moins éloignés. D’un côté, la rigueur méthodique de Robert Ryman (1930-2019) avec ses expérimentations quasi-monochromes autour du blanc. De l’autre, un certain sentimentalisme, et 80 kg de bonbons (blancs également) posés au sol pour composer un portrait métaphorique du père (dont le poids équivaut à celui de l’œuvre). Signée Felix Gonzalez-Torres (1957-1996), cette œuvre exposée à la prise du visiteur, et donc à sa propre disparition, évoque tout à la fois l’envie, le manque et le deuil, sur un registre symbolique et participatif. Entre les deux, d’infinies nuances d’abstractions, de postures et de formes, que l’exposition explore justement dans toute leur diversité.
Correspondances et variations
C’est assez logiquement, guidé par l’objectif d’abolir tout particularisme local ou générationnel, que le parcours délaisse le séquençage géographique et chronologique, au profit d’un déploiement thématique. « Équilibre », « Surface », « Grille », « Monochrome », « Matérialisme », « Lumière », jusqu’à l’école japonaise « Mono-ha », sept notions servent d’articulation, sept axes qui, plutôt que de distinguer les foyers artistiques, mettent en lumière ce qui les relie, suivant une lecture sensualiste de l’art minimal.
Ce parti pris ouvre bien des parentés, plus ou moins riches ou évidentes. Ainsi, deux plaques de plomb de l’américain Richard Serra (1938-2024), l’une étayée par l’autre, pliée et positionnée dans l’angle entre le mur et le sol (Right Angle Prop, 1969/1993), voisine l’œuvre du coréen Lee Ufan (né en 1936), une pierre posée sur une plaque de verre, que son poids a brisé (Relatum, 1969/2025). Si les matériaux et les gestes diffèrent, ces œuvres majeures de la Collection Pinault mettent toutes deux en scène, d’une part, les forces qui sous-tendent leur conception (celle qu’il faut pour tordre le métal, celle du choc entre la pierre et le verre) et d’autre part, les rapports qu’elles entretiennent avec leur environnement (le sol, le centre, le mur ou le recoin).
Dans les œuvres voisines, la gravité ou la résistance sont utilisées de manières encore bien différentes, par exemple pour formuler des commentaires amusés sur la tradition des beaux-arts. C’est le cas pour Nobuo Sekine (1942-2019) qui, en soumettant une toile de lin à la torsion et au poids d’une pierre, détourne en matériau de sculpture le support par excellence de l’image peinte (qui fut d’ailleurs son premier médium). De son côté, Senga Nengudi (née en 1943) emploie l’eau, qu’elle colore et enferme dans des poches en vinyle transparent. Retenues par des cordes, ces dernières conservent la qualité fuyante de l’élément qu’elles contiennent, privilégiant l’amorphe à l’érectile et déjouant ainsi le registre triomphant traditionnellement attachée à la sculpture.
Écrin idéal
Les exemples de mise en relation entre les œuvres pourraient être multipliés infiniment. L’exposition, qui en compte plus d’une centaine, ne manque pas de ces échos. Dans la section des « Grilles », le quadrillage mou du filet de Jirō Takamatsu (1936-1998), posé au sol, s’accommode ainsi très bien des peintures aux lignes tout aussi lâches de Mary Heilmann (née en 1940). Du côté des « Surfaces », les volumes colorés de Donald Judd (1928-1994) et Anne Truitt (1921-2004) se répondent parfaitement, tout comme les néons de Dan Flavin (1933-1996) et ceux de François Morellet (1926-2016) au niveau inférieur du musée. Jusqu’à la monotonie ? Étonnamment, non. Les cimaises installées de biais au milieu des salles, les fenêtres laissant entrer des rais de soleil, l’alternance des formats et le mélange des genres, des médiums, des périodes, tout cela contribue à éviter l’effet de répétition, sans jamais entraver ni notre déambulation, ni le besoin de vide autour de certaines installations. Naturelle et fluide, la visite est une promenade pour laquelle le bâtiment même, dans son épure, paraît avoir été conçu.
Cette symbiose entre les œuvres et l’architecture de Tadao Ando est plus qu’évidente dans la Rotonde, où l’installation monumentale de Meg Webster (née en 1944) trouve une place si juste qu’elle se mesure à l’échelle de tout le bâtiment. Dans cette vaste arène ceinturée de béton brut, ouverte vers le ciel que filtre la majestueuse coupole, l’artiste américaine a fait entrer de la terre, du sable, du sel et de la cire d’abeille, des branchages et des fleurs. Rien que des matières naturelles, disponibles localement, qu’elle est venue compacter en figures élémentaires (dune, sphère, cône, surfaces convexes) et monochromes. L’équilibre est subtil entre simplicité et sensualité, et Webster sait très bien faire de nous, de nos sens, le vrai médium de son œuvre. Au milieu des odeurs de sous-bois, dans l’espace qui se creuse entre chaque forme pleine, quelque chose nous saisit instantanément, difficile à décrire. Comme un désir du vide, un vertige à l’envers. L’envie de goûter des yeux, de sentir la lumière.
Resserrements et ouvertures
Ces approfondissements monographiques, émaillant tout le parcours, parviennent à ménager des pauses et des respirations au sein de « Minimal ». Dans les vitrines qui encerclent la Rotonde, les Date Paintings d’On Kawara (1932-2014) offrent ainsi un contrepoint conceptuel sur la valeur du temps et notre rapport à l’Histoire. Au premier étage, une salle est entièrement dédiée au Mono-Ha, un mouvement émergé au Japon à la fin des années 1960, dont les préceptes sont guidés par le rejet de la manipulation, et partant la préférence pour la mise en relation d’objets et de matériaux laissés à leurs défauts et à leurs qualités. Enfin, le visiteur pénètre les galeries de l’étage supérieur par une salle consacrée à Agnès Martin (1912-2004), figure clé de l’abstraction américaine, dont de nombreuses œuvres appartiennent à la Collection Pinault. Il faut enfin ajouter à ces focus l’œuvre de l’artiste brésilienne Lygia Pape (1927-2004), présentée en marge de l’exposition sous le commissariat d’Emma Lavigne, directrice de la Collection. Tout à l’opposé des courants prônant le retrait du sujet et de l’affect, Pape a très tôt défendu une approche poétique de la forme géométrique (proche en cela de Meg Webster), et a toujours cherché à rapprocher l’art de la vie quotidienne, notamment par la participation du spectateur. Son installation Ttéia 1, C, constituée de fils d’or tendus dans la pénombre d’une pièce vide, crée une œuvre vibratile, comme zébrée de rayons surnaturels, porteuse d’une indéfinissable sensation d’immatérialité. Une ouverture bienvenue et un très bel hommage à cette figure injustement méconnue, qui ne manque pas de compléter le panorama minimal habitant la Bourse de Commerce jusqu’en janvier prochain. •
Exposition « Minimal »
Jusqu’au 19 janvier 2026
à la Bourse de Commerce – Pinault Collection
2, rue de Viarmes – 75001 Paris
pinaultcollection.com

Dan Flavin, Alternate Diagonals of March 2, 1964 (to Don Judd), 1964, lumière fluorescente rouge et jaune, 365,8 cm (en diagonale), Pinault Collection. © Dan Flavin / Adagp, Paris, 2025. Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Avec les œuvres de Robert Ryman et Felix Gonzalez-Torres. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Felix Gonzalez-Torres, « Untitled » (Portrait of Dad) (détail), 1991, bonbons blancs dans papier d’emballage transparent, approvisionnement inépuisable, Pinault Collection. Photo : Nicolas Brasseur.

Agnes Martin, Blue-Grey Composition, 1962, huile sur toile, 30,5 × 30,5 cm (sans cadre), Pinault Collection. © Agnes Martin Foundation, New York / Adagp, Paris, 2025. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Avec les œuvres de Richard Serra et Lee Ufan. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

On Kawara, SEPT. 13, 2001, 2001, acrylique sur toile, 25,5 × 34,3 cm, Pinault Collection © One Million Years Foundation.

Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Avec les œuvres de Meg Webster. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Avec les œuvres de Meg Webster. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Lee Ufan, From Line, 1978, huile et pigment minéral sur toile, 60 × 72 cm, Pinault Collection. © Lee Ufan / Adagp, Paris, 2025. Photo : Nicolas Brasseur.

Nobuo Sekine, Phase of Nothingness – Water, 1969/2012, acier, laque, eau, 120 × 120 cm (cylindre), 30 × 220 × 160 cm (bloc), Pinault Collection. © Nobuo Sekine Estate. Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition « Minimal », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Avec les œuvres de Michelle Stuart, Maren Hassinger, Jackie Winsor, Dorothea Rockburne et Kishio Suga. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Nicolas Brasseur.

Lygia Pape, Ttéia 1, C, 2003-2025, fil doré, bois, clous, lumière, dimensions variables, Pinault Collection. Courtesy Projeto Lygia Pape. Vue de l’exposition « Tisser l’espace », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2025. Photo : Nicolas Brasseur.


