Par Henri Guette
EXPOSITION // Comment aimons-nous aujourd’hui ? L’exposition Data Dating ne propose rien de moins qu’un état des lieux de nos relations sexuelles et sentimentales à l’ère du digital. Une exploration collective du domaine de l’intime présentée à la galerie Charlot entre art, sciences humaines et technologie.
Il faut être deux pour partager A Truly Magical Moment. L’installation gyroscopique d’Adam Basanta ne peut en effet fonctionner qu’avec la connexion simultanée de deux personnes via une application dédiée. La magie des caméras fait le reste, dans un mouvement de ronde accéléré digne des plus grandes scènes de rencontre du cinéma, nous vivons un coup de foudre. Au XXIe siècle, semble indiquer Valentina Peri, commissaire de l’exposition, l’amour sera convulsif ou ne sera pas. Les fictions mises en place depuis des siècles par la littérature, reprises jusqu’à saturation par les médias actuels, ont conditionné nos attentes des relations. En ligne plus encore, nous indexons nos expériences réelles sur un idéal, ce qui ne peut que nous faire souffrir comme l’analysait la sociologue Eva Illouz dans Pourquoi l’amour fait mal. Le virtuel accentue la pression qui entoure les sentiments comme le révèle bien l’installation Kill your darlings de Jeroen Van Loon où voisinent dans des cadres en forme de cœurs les images très composées de jeunes soupirantes et leurs amers messages de rupture.
La vision du couple véhiculée par la culture de masse a installé un certain malaise jusque dans la sphère intime, comme en témoignent certaines requêtes parmi les plus fréquentes adressées à Google. Derrière l’écran, des hommes et des femmes en manque de conseils sentimentaux ou à la recherche d’une oreille compatissante osent ainsi demander : « Est-ce qu’il veut rompre ? », « Est-ce qu’elle veut se marier avec moi ? » ou encore affirmer « Je ne veux plus te revoir ». Zach Gage a conçu un programme qui lui permet de recueillir chaque jour les occurrences les plus populaires pour en composer ses Glaciers, des poèmes digitaux qui permettent de repenser la façon dont nous nous construisons en tant qu’individu. L’écran, comme le suggère les images virtuelles d’Olga Fedorova (Green Room ou encore The Myth of female solidarity), peut nous permettre de réinvestir la solitude. Les applications de rencontres sur lesquelles travaillent particulièrement Tom Galle, Moises Sanabria et John Yuyi exacerbent ainsi notre individualisme en nous proposant de nous mettre en rapport avec des personnes choisies. Les photographies de la série Tinder VR invitent dès lors bien plus au repli sur soi qu’à l’échange avec l’autre.
Le discours amoureux est tellement codé, et Barthes n’en a été qu’un des observateurs, que les nouvelles technologies sont à même de les assimiler et de donner le change. Certaines industries l’ont bien compris, comme le site de rencontre Ashley Madison qui n’a pas hésité à pallier le manque de profils féminins par des chatbots. Révélé par un piratage, cette pratique a inspiré à !Mediengruppe Bitnik une installation in situ (Ashley Madison Angels at Work in Paris) qui met le public en prise avec ses robots qui cherchent à nous retenir le plus longtemps possible sur un service payant. Plus sympathique, ou en tous cas hors d’une logique lucrative, le site Deep Love d’Antoine Schmitt joue sur les mêmes ressorts et nous confronte à la façon dont nous partageons le même langage lorsqu’il est question des sentiments, voire même du sexe. Addie Wagenknecht & Pablo Garcia, dans leur vidéo Webcam Venus, ont demandé à des camgirls de jouer avec les postures de la peinture classique ; il en ressort que, jusqu’au corps, nous avons assimilé des codes de séduction. Data Dating parvient ainsi, en jouant sur les algorithmes de l’amour, à nous faire douter de nos propres programmes. Une exposition troublante. //
Exposition Data Dating
Jusqu’au 25 juillet 2018 at galerie Charlot
47 rue Charlot 75003 Paris
www.galeriecharlot.com